Fort d’une expérience de plus de 20 ans au sein de la filière bois-forêt, Jérôme Martinez a notamment travaillé comme délégué PEFC Grand Est, en tant que responsable Forêt/Récolte au sein de l’interprofessionnelle Fibois Grand Est avant de devenir responsable du label Bois de France en janvier 2020. Alors que de nombreux défis économiques, stratégiques et environnementaux animent la filière bois/forêt, le label bois de France, rassemblant aujourd’hui 140 entreprises engagées, entend assurer la traçabilité du bois français du prélèvement à la transformation. Nous revenons avec Jérôme Martinez sur les grands enjeux de la filière bois tant sur les notions de traçabilité et de qualité du bois, que sur le potentiel des forêts françaises et sur les grandes réussites de la filière.
Diatopes : Pouvez-vous nous présenter le label Bois de France ? Quelles sont les grandes missions du label et comment se structure son action ?
Jérôme Martinez : Le label apporte une double garantie : un bois non seulement issu de forêt française, mais aussi transformé en France. L’originalité et la raison d’être du label tiennent à cette double garantie. Car il est possible de trouver des produits estampillés « made in France » au sens réglementaire, ou « Origine France garantie », dans lesquels il n’y a pas de bois français car seule la partie de transformation est prise en compte. C’est pourquoi les professionnels ont souhaité développer un label prenant en compte les 2 critères à la fois.
Comment ces critères sont-ils évalués ?
Jérôme Martinez : Dans la pratique pure, à partir du moment où vous avez une unité de transformation qui est établi sur le territoire national, la transformation française n’est pas très compliquée à prouver.
Cependant, la partie forêt française nous oblige à une traçabilité depuis la forêt jusqu’au produit fini. La notion de traçabilité du bois est déjà présente dans les certifications forestières PEFC ou FSC depuis une vingtaine d’années. Depuis 2018, il existe même une norme ISO 38200 qui caractérise la façon de tracer le bois : le label Bois de France a donc repris ces méthodes.
Dans le détail, on distingue 3 méthodes de traçabilité. Le Label en a retenu 2 qui correspondaient à la « philosophie Bois de France ». La première et la plus simple est celle dite de la « séparation physique », où l’on sépare physiquement les bois certifiés des bois non certifiés.
Or certaines entreprises mélangent la matière pour la fabrication de leurs produits : la méthode de séparation physique n’est donc techniquement plus possible. On s’oriente alors vers la méthode dite de “pourcentage moyen”. Par exemple, vous achetez et mélangez au cours du processus de transformation un certain volume de bois certifié et un autre volume de bois qui lui n’est pas certifié : ne pouvant plus les séparer, il faut alors calculer un taux de certification.
Cette méthode implique donc de définir un seuil à partir duquel vous considérez qu’il y a suffisamment de bois certifié dans le produit pour pouvoir y apposer le label. Par exemple, les certifications PEFC ont défini un seuil à 70%. Pour le Label Bois de France, les professionnels ont défini un seuil à 80%. Quand vous avez un produit avec le logo Bois de France dessus, vous êtes certain d’avoir au moins 80% de bois français, transformé à 100% en France. On est donc sur une valeur très forte.
Le label permet aux professionnels, entités publiques ou particuliers de connaître
l’origine du bois et de prendre le virage d’une consommation responsable.
C’est ainsi que le label permet aux professionnels, entités publiques ou particuliers de connaître l’origine du bois et de prendre le virage d’une consommation responsable. Après deux ans et demi d’existence, le label travaille essentiellement avec des professionnels et entités publiques, mais peu à peu le Label touche les particuliers avec les premiers produits certifiés dans des enseignes de bricolage, même si nous n’avons pas encore communiqué envers cette cible.
Au regard de votre expérience, cette approche de la traçabilité est-elle satisfaisante ?
Jérôme Martinez : C’est le cœur du sujet. Sur ces notions de traçabilité, il y a une chose qu’on ne pourra pas faire dans la filière sauf à entraver la productivité nécessaire pour que la filière puisse fonctionner correctement : c’est de tracer le bois depuis la parcelle forestière. C’est une utopie.
Dans une scierie, les grumes sont toutes différentes. Le métier du scieur, c’est d’optimiser ses grumes pour arriver à former des groupes de qualité homogène à partir de différentes sources aux caractéristiques variées, issues de différentes parcelles. Si on veut maintenir la productivité d’une scierie dans un contexte de concurrence internationale, on ne peut pas chercher à déterminer la parcelle d’origine de chaque grume. Avec le Label Bois de France, on descend à l’échelle d’un bassin forestier, ce qui est déjà très bien. Les méthodes employées assurent la traçabilité à ce niveau.
Combien y a-t-il d’entreprises adhérentes au Label Bois de France et quelles sont les valeurs qui les animent ?
Jérôme Martinez : Aujourd’hui, après deux ans d’activité, le label réunit 140 entreprises et ce chiffre évolue chaque semaine. Il s’agit d’entreprises extrêmement volontaires pour démontrer qu’elles utilisent du bois français issu de forêts durablement gérées, qu’elles le transforment en France, et donc qu’elles participent à un cycle vertueux au sein de l’économie française.
Consommer local c’est aussi réduire notre empreinte carbone.
Ces entreprises sont fières d’être labellisées « bois de France » et d’appartenir à la filière bois française. On observe également que ces entreprises mettent en avant la notion d’empreinte carbone et le Label Bois de France compte poursuivre sur cet axe de communication. En effet, consommer local c’est aussi réduire notre empreinte carbone.
Comment inciter les professionnels et organismes publics à tendre vers la certification « Bois de France » ?
Jérôme Martinez :Le label Bois de France communique énormément auprès des professionnels et organismes publics sur le fait, notamment, d’orienter leurs projets vers des constructions en bois français. Avec l’arrivée de la réglementation environnementale RE2020 dans le domaine du bâtiment, beaucoup s’orientent vers le bois, et parfois vers le bois français transformé en France, pour optimiser leur empreinte carbone. L’atout est réel : quand on regarde les empreintes carbone sur l’analyse du cycle de vie des produits en bois de France, on est entre 15 et 20 % en dessous des produits en toute origine bois.
Cette réglementation constitue donc une réelle opportunité pour la filière ?
Jérôme Martinez : Oui, des promoteurs immobiliers se posent la question de la construction en bois. Chez Bois de France, je suis régulièrement sollicité par des promoteurs immobiliers qui auparavant ne se posaient même pas la question d’intégrer du bois dans la construction. Une véritable révolution est en train de s’opérer. Par exemple, le groupe Bouygues s’est engagé il y un an auprès de Bois de France à réaliser 30 % de constructions en bois d’ici 2030 et d’utiliser pour cela 30% de bois labellisés Bois de France dès la signature de l’engagement, puis de monter cette proportion à 50 % d’ici 2025. Concrètement, en 2025, Bouygues devrait produire 70 à 80 bâtiments en bois par an dont la moitié sera réalisée avec des produits labellisés Bois de France. C’est un marché important. La réforme RE2020 est en train de bousculer les lignes de façon importante.
Quels sont les autres secteurs intéressés par le label ?
Jérôme Martinez : Le Label Bois de France se développe au-delà du secteur de la construction avec par exemple des producteurs de granulés bois certifiés « Bois de France ». De façon plus anecdotique, on a du charbon de bois certifié « Bois de France ». On commence également à avoir des premiers fabricants de meubles et de menuiseries « Bois de France ». Le Label bois de France s’adresse à l’ensemble des produits à base de bois.
Prenons un peu de hauteur pour évoquer les grands enjeux auxquels la filière forêt-bois fait face. Quels sont ses grands défis à moyen et long termes selon vous ?
Jérôme Martinez : Les défis sont nombreux. Il y a un enjeu tout particulier qui est celui de l’acceptabilité de la récolte du bois. L’arbre est sacralisé depuis toujours, à la différence d’un champ de blé ou de maïs. La forêt est aussi un espace majeur de biodiversité. Or, certains ne comprennent pas qu’un tel espace de biodiversité soit exploité. Pour autant, on est dans l’absolue nécessité aujourd’hui d’exploiter les forêts, le bois étant un des rares matériaux de construction renouvelable à l’échelle humaine. Le bois est non seulement une ressource renouvelable, mais il permet aussi de stocker du carbone. Il y a donc une nécessité de développer nos usages du bois, mais cela doit être fait de manière durable et intelligente.
Il y a une nécessité de développer nos usages du bois, mais cela doit être fait de manière durable et intelligente.
En France, la forêt est gérée durablement. Évidemment, comme tout le monde, je suis absolument indigné quand je vois certaines photos et vidéos de coupes avec des ornières énormes. Mais le problème de ces images est qu’elles sont instrumentalisées pour jeter l’opprobre sur l’ensemble des forestiers alors que ce ne sont que des contre-exemples. Dans 99 % des cas, vous rencontrez des forestiers amoureux de leurs forêts. D’ailleurs, nombreuses sont les coupes rases effectuées pour raisons sanitaires. Par exemple, il y en a eu malheureusement beaucoup à cause du scolyte dans l’Est de la France.
Certes, il y a aussi des coupes rases de gestion forestière classique. Le premier problème de la coupe rase est d’ordre paysager avec une surface vide d’arbres durant quelques mois. Mais déjà deux à trois ans plus tard, l’aspect est totalement différent car il y aura eu une régénération naturelle ou une replantation, des graminées et des fougères qui auront poussé, etc. Ce processus est rapide. Sur l’échelle d’une parcelle, avec un peuplement forestier ayant une durée de vie de 50 ans à 150 ans, on parle de seulement quelques mois durant lesquels la terre est mise à nu. Du reste, cela reste une méthode minoritaire aujourd’hui, surtout utilisée pour certains massifs de résineux. Les résineux représentent 30 % de la forêt française et tous ne sont pas gérés en futaie régulière nécessitant une coupe rase à la fin… Retenons en tout cas que l’acceptation de la récolte est un véritable défi pour la filière.
On sait que 75 % des forêts françaises appartiennent à des propriétaires forestiers privés : quels sont les enjeux pour la gestion de ces parcelles ?
Il y a une myriade de petits propriétaires avec des millions d’hectares de surface forestière […]. Il y a là un potentiel qui pourrait être exploité sans toutefois remettre en cause la biodiversité de la forêt.
Jérôme Martinez : En effet, en France 3⁄4 des forêts appartiennent à des propriétaires forestiers privés. On y retrouve des grands et moyens propriétaires qui gèrent leurs forêts de manière régulière avec une production de bois. Il y a ensuite une myriade de petits propriétaires avec des millions d’hectares de surface forestière qui ne sont pas ou fort peu gérés et exploités. Il y a donc là un potentiel qui pourrait être exploité sans toutefois remettre en cause la biodiversité de la forêt.
Quand on regarde par exemple de belles forêts comme celle de Tronçais (Allier) ou celle de Bercé (Sarthe), ce sont des forêts exploitées depuis près de 300 ans et pourtant elles présentent une très belle biodiversité. On s’aperçoit quand on regarde ces forêts, que l’on peut faire de la gestion et de l’exploitation forestière tout en préservant la biodiversité. L’enjeu aujourd’hui est d’arriver à mettre en gestion cette myriade de forêts non gérées et exploitées. On est confronté sur ce sujet à une problématique politique qui est celle du bien privé et des libertés individuelles. Comment inciter des propriétaires privés à gérer leur forêt pour le bien collectif de la société ? Le défi de la petite propriété privée, c’est de savoir comment les regrouper et les accompagner vers la mise en gestion. Il faut prendre par la main chacun de ces millions de propriétaires.
Dans une note, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation mettait en avant les difficultés des entreprises de la filière à travailler les essences de feuillus alors que ces dernières représentent 70% de la surface forestière française. Qu’en pensez-vous ?
Jérôme Martinez : Sur la surface forestière actuelle, on a effectivement 2/3 de feuillus pour 1/3 de résineux, or dans la production des scieries, on est à 80 % en résineux et 20 % en feuillus. Il y a donc un vrai enjeu à se réapproprier la transformation des feuillus sur le territoire.
Il y a un vrai enjeu à se réapproprier la transformation des feuillus sur le territoire.
Cela s’explique d’abord par une exportation massive des feuillus, et notamment de chênes. C’est une vraie catastrophe économique et écologique. D’autre part, dans les petites forêts privées et inexploitées que nous évoquions, on retrouve essentiellement des feuillus : il y a là un gisement qui mériterait d’être exploité dans les prochaines années.
Avant, c’était monnaie courante d’avoir des charpentes en chêne ou en peuplier. Aujourd’hui, hormis dans les monuments historiques, on ne retrouve plus guère ces essences, même si on commence à retrouver des choses en lamellé-collé de peupliers. De plus, il y a énormément d’essence de feuillus dans les forêts françaises qu’on ne sait pas valoriser car ces essences ne sont pas normées et caractérisées. Il y a donc un travail à faire sur la valorisation et la caractérisation de ces bois.
Pour finir, quelles sont les grandes réussites de la filière ces dernières années ?
Jérôme Martinez : L’une des dernières grandes réussites en date pour la filière est d’avoir pu intégrer à la RE2020 un calcul dynamique de l’analyse de cycle de vie des bâtiments, favorisant le recours au bois comme matériau de construction. C’est une véritable victoire pour le bois et pour la société, car cela va permettre d’utiliser massivement du bois dans la construction et donc de stocker un maximum de carbone.
[La RE2020] est une véritable victoire pour le bois et pour la société, car cela va
permettre d’utiliser massivement du bois dans la construction et donc de stocker un maximum de carbone.
Une autre réussite au sein de la filière bois concerne les investissements en France sur les capacités de sciage, de séchage et de rabotage qui évoluent à une vitesse importante depuis deux ans. À la suite de la crise du Covid, on n’a jamais autant parlé de réindustrialisation et les scieries ont su en tirer parti pour se renforcer. En 2021, il y a eu 1 milliard d’investissement dans les entreprises de transformation du bois en France. Il y a une vraie révolution et une véritable montée en qualité dans le sciage et dans l’optimisation de cette ressource.