L’adaptation des forêts françaises face au changement climatique : enjeux et perspectives


A l’aube des élections présidentielles, Jean-Michel Servant, président de France Bois Forêt et Frédéric Carteret, président de France Bois Industries Entreprises ont présenté à la presse un manifeste commun porté par la filière bois le 2 février dernier. Ce manifeste listant 23 propositions pour assurer l’avenir du bois français[1], la transformation française du bois et la décarbonation de l’économie s’organise autour de 4 axes majeurs : le développement de tous les usages du bois et des capacités industrielles françaises pour répondre à la hausse de la demande ; l’adaptation des forêts sur le long terme pour conserver la biodiversité et préserver la multifonctionnalité des peuplements forestiers ; le renforcement de l’attractivité des métiers de la filière et le développement des compétences pour pourvoir les emplois d’aujourd’hui et de demain ; le rapprochement des citoyens de la forêt et de la filière Forêt-Bois. Au regard des effets du changement climatique dans les forêts, comment s’adaptent les peuplements forestiers ? Autrement dit, quelle réponse apporte la filière Forêt-Bois face à ces enjeux climatiques ?

Les forêts françaises face aux changements climatiques

La multiplication des crises sanitaires : 1er effet visible du changement climatique

La hausse des températures impacte directement la forêt, son écosystème et toutes les essences sont touchées. En effet, selon l’ONF de véritables crises sanitaires se jouent avec par exemple la prolifération d’une épidémie de scolytes ravageant des hectares d’épicéas dans le Grand-Est en quelques mois : « Ces insectes se développent après des tempêtes ou, comme en 2019, après une sécheresse, quand les arbres sont fragilisés et plus vulnérables face aux attaques des ravageurs. Les scolytes en profitent et pullulent, jusqu’à former des populations suffisantes pour attaquer aussi des arbres sains ». C’est ce que rapporte l’Est Républicain dans un article en date du 21 août dernier alors que 11 ha de forêt ont été ravagés dans la forêt de Loray (Doubs) par les scolytes : «  En 2018, le volume des chablis récoltés était de 1 234 m³. En 2020 c’était plus de 3 000 m³ de bois scolytés. Certaines parcelles furent touchées à 50 % » ajoute le maire de la commune Claude Roussel[2]. Face à cette épidémie de scolytes, l’ONF agit via quatre leviers : par l’état des lieux des forêts, la détection précoce des scolytes, le piégeage aux phéromones et des coupes sanitaires exceptionnelles pour endiguer l’épidémie. La crise est là comme en témoignage des chiffres publiés par l’ONF : « Environ 6,5 millions de m³ de bois déclassés ont été récoltés en 2019-2020 par l’ONF, contre moins de 1 million en moyenne sur une année normale. En 2020, les bois dépérissants (en raison de diverses maladies : scolyte, chalarose…) représentent 26% de la récolte en forêt publique »[3].

De la hausse des températures à la modification de la répartition des essences forestières : 2e effet visible du changement climatique

Outre les épisodes de sécheresses l’été, la hausse des températures au cœur de l’hiver affaiblit également les forêts. En effet, les épisodes de sècheresse impactent durablement les forêts selon une étude américaine « Global convergence in the vulnerability of forests to drought »[4]. Selon ses auteurs, la plupart des arbres sont menacés par un stress hydrique important comme ce fut le cas en 2003 ou « d’importants dépérissements en été observés dans les plantations de résineux. Ils ont entraîné de fortes mortalités dans le Tarn, et le phénomène s’est poursuivi les années suivantes, principalement sur les peuplements d’épicéas »[5]. Le réseau Aforce (Adaptation des Forêts au Changement Climatique) ajoute à ce propos : « L’augmentation des températures induit un allongement de la saison de végétation (…) cela augmente aussi les besoins en eau donc le stress hydrique sur les marges méridionales des espèces. À plus long terme, les hivers trop doux devraient perturber la levée de dormance des bourgeons et des graines. »[6]. La hausse des températures entraîne donc une modification majeure dans la répartition des espèces ajoute le réseau Aforce. En effet, il a été observé que l’augmentation des températures dans le Nord de la France permet à certaines essences de s’y installer durablement. C’est notamment le cas du chêne vert qui : « A la faveur de climats suffisamment doux, s’étend en Aquitaine, et le réchauffement lui ouvre potentiellement de nouveaux espaces dans l’Ouest en général »[7].

A l’inverse, le pin sylvestre connaît un certain déficit de population dans les Alpes du Sud en raison d’un stress hydrique et des récentes anomalies climatiques. Le réseau Aforce ajoute qu’à l’horizon 2050, la répartition des diverses essences d’arbres sur le territoire français pourrait être la suivante : « Les Chênes sessile et pédonculé, qui constituent la première essence de la forêt métropolitaine verraient un tiers de leur aire actuelle devenir inhospitalière (…) L’Épicéa, devrait se replier dans l’étage subalpin, sur seulement un dixième de la surface qu’il occupe actuellement, de dévastatrices attaques de scolytes venant amplifier les effets directs du changement climatique. Le Pin maritime, surtout présent en Aquitaine et en région méditerranéenne, voit son extension et sa productivité potentielle stimulées par le réchauffement dans la moitié nord de la France, tandis qu’elle se maintiendrait dans le Sud à moyen terme. Son avenir est cependant menacé par la probable arrivée en France du nématode du pin »[8]. Face à ces nombreux enjeux climatiques, comment la filière Forêt/Bois s’organise-t-elle ? Quelle réponse apporte l’Etat via l’ONF et ses différents organismes ? 

La réponse de l’Etat face aux changements climatiques

 L’action de l’ONF au cœur des forêts

Face à ces enjeux climatiques et météorologiques, l’État et l’ensemble de la filière bois s’organisent et agissent pour amener les forêts à une plus grande résilience. Pour ce faire, l’Etat via l’ONF milite pour la « migration assistée », c’est-à-dire en choisissant des espèces et en les transportant vers des climats plus cléments où les graines pourront s’adapter dans quelques années. C’est ce qu’a réalisé l’ONF dans le cadre du projet « Giono » où des graines de diverses essences ont été plantées en forêt de Verdun (Meuse). Parallèlement à la migration assistée, la connaissance des sols est tout autant nécessaire ajoute Noémie Pousse (Chargée R&D pédologie au pôle Recherche, développement et innovation – RDI) à l’ONF : « Les plantations engagées dans le cadre du plan de relance doivent permettre aux forêts les plus exposées aux risques climatiques d’être plus résilientes, et de reconstituer les peuplements détruits, notamment en misant sur une plus grande diversité d’essences. Pour réussir de telles plantations, il est important de connaître l’état du sol, afin de privilégier des essences qui pourront s’y adapter. » Par ailleurs, l’ONF mise également sur la mise en place « d’îlots d’avenir » visant à sélectionner, tester et analyser des essences en pleine forêt afin de déterminer quelles sont les espèces les plus résistantes pour l’avenir : « A cause de la forte vulnérabilité climatique des espèces et de l’importante surface forestière concernée, il faut trouver des espèces et des provenances plus résistantes », déclare Brigitte Musch (Responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers (CGAF)) à l’ONF . Après la création d’un premier îlot dans la forêt domaniale de Haye (Meurthe-et-Moselle), plus de 200 îlots d’avenir doivent être créés d’ici 2022.

Ce n’est pas le seul projet mené par l’ONF en matière d’adaptation des forêts aux changements climatiques. En effet, en partenariat avec AgroParisTech, l’ONF mène le projet « Esperense/RENEssences »[9] ayant pour objectif d’évaluer la vulnérabilité de certaines essences présentes dans les forêts françaises en fonctions de nombreux critères. Un fois ces données évaluées, les équipes du projet « CARAVANE » (Catalogue Raisonné des Variétés Nouvelles à Expérimenter) réalisent un répertoire  d’essences : « Une fois ces essences caractérisées, les forestiers de l’ONF pourront choisir celles qui seront le plus adaptées au climat local, au sol et aux modèles d’évolution des températures dans la région. »[10]. C’est ainsi que naissent les îlots d’avenir dans les forêts françaises. Enfin l’ONF mène également un projet « PILOTE » en partenariat avec l’Inra Nancy. Ce dernier, lancé en 2013, s’intéresse au renouvellement et à l’entretien des sols en forêts afin de trouver une alternative à l’usage de pesticides. Ce projet a d’ores et déjà prouvé qu’un bon renouvellement des sols avec des méthodes adaptées limite les risques climatiques [11].   

ClimEssences et BioClimSol : deux outils pour l’adaptation des essences forestières

Conjointement à l’action de l’ONF, le Centre national de la propriété forestière s’engage aussi pour la résilience des forêts par plusieurs leviers. Le CNPF via son service de recherche et développement « Institut pour le Développement Forestier » coordonne de nombreuses actions en la matière[12]. De plus, le CNPF organise le réseau Aforce rassemblant 16 partenaires du milieu forestier (dont AgroParisTech, France Bois Forêt, INRAE…)[13] : « Ce réseau mixte technologique (RMT) a pour objectif d’accompagner les forestiers dans l’adaptation des forêts aux changements climatiques, tout en renforçant les capacités d’atténuation de celles-ci ». Ce réseau s’appuie sur de nombreux outils tels que ClimEssences mettant à disposition des propriétaires forestiers des solutions pour le choix des essences[14]. Pour ce faire, ClimEssences propose des fiches d’espèces présentant les caractéristiques majeures de certaines essences ainsi que des modélisations cartographiques de compatibilité climatique des essences à l’aide du modèle IKS : « Le modèle IKS, mis au point par Hervé Le Bouler puis développé dans le cadre du projet AForce IKSMAP, utilise des données climatiques modélisées à la résolution du kilomètre carré, pour le climat de référence « Actuel » et pour les scénarios climatiques futurs du GIEC »[15]. Conjointement au programme ClimEssences, il convient de mentionner le dispositif « BioClimSol[16] », une méthode du CNPF permettant de diagnostiquer sur une parcelle, des recommandations sylvicoles en fonction des changements climatiques : « Cet outil intègre le climat et ses extrêmes, et les conditions de terrain qui aggravent ou compensent le climat : sol, topographie, exposition.»[17].

Pour faire face aux changements climatiques, la filière peut s’appuyer sur le plan de relance de 200 millions d’euros auquel s’ajoutent 100 millions supplémentaires visant divers objectifs : un plan de reboisement de 45 000 hectares de forêts visant à : « capter 150 000 tonnes de CO2 supplémentaires chaque année  », la création d’un fonds forêt de renouvellement et d’adaptation au changement climatique doté de 150 millions d’euros pour venir en aide aux propriétaires forestiers publics ou privés, d’une aide spécifique pour la filière graines et plants, d’un renforcement des dispositifs de soutien de BPI France aux entreprises de la filière bois et enfin le développement d’une couverture LiDAR HD afin de cartographier en HD les forêts françaises pour faciliter « la dématérialisation des procédures administratives et demandes d’aides, le suivi et le contrôle des défrichements, des coupes rases, et de la reconstitution des peuplements, ou encore le suivi de l’état sanitaire des forêts ou la prévention du risque « feux de forêts » .

Parallèlement, les acteurs de la filière Forêt/Bois via les syndicats, organisations interprofessionnelles et coopératives forestières agissent aussi pour l’adaptation des forêts face aux changements climatiques.

La mobilisation de la filière Forêt/Bois

L’ensemble de la filière Forêt/Bois se mobilise pour l’adaptation des forêts face aux risques climatiques. Il convient de mentionner dans un premier lieu l’interprofessionnel du bois, France Bois Forêt[18], créée le 8 décembre 2004 sous l’égide du ministère de l’Agriculture en charge des Forêts. En effet, France Bois Forêt finance et participe au projet REFER (Réseau expérimental forestier d’essences de diversification pour le renouvellement des forêts) en partenariat avec l’Institut technologique FCBA (Forêt Cellulose Bois-construction et Ameublement) ; l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ; l’Office national des forêts (ONF) ; le Centre national de la propriété forestière – Institut pour le développement forestier[19]. Ce projet vise à retourner sur des parcelles forestières âgées afin d’actualiser des données en termes de croissance et de résilience forestière. In fine, ce projet permet « d’identifier, d’une part, celles (les parcelles) susceptibles de fournir des échantillons de bois de taille suffisante pour leur caractérisation mécanique, d’autre part, celles pouvant être sources de matériel végétal (graines, boutures, greffons…) »[20].

Parallèlement à ce projet, France Bois Forêt participe au programme « Vergers à graines » en partenariat avec le Comité technique permanent de sélection. Ce projet concoure à trois objectifs : le renouvellement, l’augmentation, et la diversification de graines nécessaires à la plantation d’arbres tout en s’adaptant au changement climatique[21]. Ce projet de relance de vergers à graines s’avère être une nécessité pour de nombreux professionnels du bois, comme le souligne Richard Hébras, président du GIE Semences forestières améliorées : « La problématique de vieillissement des vergers est toujours d’actualité. Il est indispensable d’anticiper le renouvellement régulier de ce parc, qui, plus est, souffre du changement climatique. Il faut replanter, et cela sur des surfaces conséquentes »[22].

Pour ce faire, ces programmes d’installations de vergers à graines visent à renouveler, augmenter et diversifier les essences de graines en fonction des aléas environnementaux. Une première convention avait alors été signée en décembre 2019 avec le ministère de l’Agriculture en charge des forêts avec la créations de trois vergers : un verger de cèdre de l’Atlas de 4ha et deux de mélèze de 5ha chacun. La deuxième convention s’inscrit quant à elle dans le cadre du plan de relance qui prévoit l’installation de sept vergers : trois de Douglas (3 x 10ha), un de chêne pubescent (10ha), un de cèdre de l’Atlas (5ha), auxquels s’ajoutent deux de tilleul : l’un à grandes feuilles, l’autre à petites feuilles[23].

Le plan de relance était nécessaire pour amener les forets à être plus résilientes selon Gilles Bauchery, président du Syndicat national des pépiniéristes forestiers (SNPF) « Le Plan de relance a permis de financer pour les trois ans à venir, mais il faut aller au-delà. Pour avoir une forêt résiliente, un large panel génétique est impératif. Sans financement public pérenne, pas de stratégie sur le long terme. Celui-ci, sur dix ou quinze ans, permettra de financer la recherche et d’anticiper les installations régulières des vergers »[24]. Ainsi, la filière bois-forêt s’organise et s’engage pour rendre les peuplements forestiers plus résilients face aux défis climatiques et environnementaux.

Alors que les élections présidentielles auront lieu dans quelques semaines, Jean-Michel Servant, président de France Bois Forêt et Frédéric Carteret, président de France Bois Industries Entreprises ont détaillé dans le Manifeste évoqué en introduction un ensemble de six propositions ayant pour but d’adapter les forêts au changement climatique : faire de l’adaptation des forêts une cause nationale en dotant le Fonds Stratégique Forêt-Bois de l’ambition et de la visibilité nécessaires au renforcement de la résilience et au renouvellement forestier ; assurer le financement du renouvellement forestier par tous les moyens (Union européenne, crédits des quotas carbone européens, financements privés, Régions, Etat…) ; renforcer les moyens octroyés à l’observation et la modélisation des forêts en support de la gestion adaptative au changement climatique ; développer la prévention et la gestion des risques en forêt (notamment en ce qui concerne les incendies) ; rétablir un équilibre sylvo-cynégétique dans les zones en déséquilibre marqué et le préserver dans les zones où il est suffisant ; et enfin sécuriser et simplifier les conditions de la gestion forestière durable. Ces six propositions viennent alors souligner l’urgence climatique dans laquelle se trouvent les forêts françaises. Ce manifeste porté par la filière trouvera t-il un écho auprès des candidats engagés pour les élections présidentielles ?


[1] https://bois-de-france.org/elections-2022-filiere-bois-manifeste/

[2] https://www.estrepublicain.fr/environnement/2021/08/21/des-preconisations-attendues-apres-les-ravages-des-scolytes

[3] https://www.onf.fr/onf/+/2e0::epidemie-de-scolytes-les-forestiers-de-lonf-sur-le-front.html

[4] https://www.nature.com/articles/nature11688

[5] http://www.foreccast.eu/fr/le-changement-climatique/les-arbres-face-au-changement-climatique.html

[6] https://www.reseau-aforce.fr/n/effets-attendus-du-changement-climatique-sur-l-arbre-et-la-foret/n:3254

[7] https://www.reseau-aforce.fr/n/effets-attendus-du-changement-climatique-sur-l-arbre-et-la-foret/n:3254

[8] https://www.reseau-aforce.fr/n/effets-attendus-du-changement-climatique-sur-l-arbre-et-la-foret/n:3254

[9] https://www.forestopic.com/fr/agora/publications/1241-changement-climatique-quelles-essences-arbres-pour-renouveler-foret

[10] https://www.onf.fr/onf/lonf-agit/+/5bb::planter-les-forets-de-demain-un-defi-face-au-rechauffement-climatique.html

[11] https://www.onf.fr/onf/lonf-agit/+/5bb::planter-les-forets-de-demain-un-defi-face-au-rechauffement-climatique.html

[12] https://www.cnpf.fr/n/la-r-d-au-cnpf-actions-et-partenariats/n:222

[13] https://www.reseau-aforce.fr/n/partenaires-et-structures-associees/n:3337

[14] https://climessences.fr

[15] https://climessences.fr

[16] https://www.cnpf.fr/n/bioclimsol/n:4196

[17] https://www.cnpf.fr/n/changement-climatique-et-forets/n:557

[18] https://franceboisforet.fr

[19] L’ACTUALITÉ DE L’INTERPROFESSION NATIONALE FORÊT-BOIS • HIVER 2022

[20] L’ACTUALITÉ DE L’INTERPROFESSION NATIONALE FORÊT-BOIS • HIVER 2022

[21] L’ACTUALITÉ DE L’INTERPROFESSION NATIONALE FORÊT-BOIS • HIVER 2022

[22] L’ACTUALITÉ DE L’INTERPROFESSION NATIONALE FORÊT-BOIS • HIVER 2022

[23] L’ACTUALITÉ DE L’INTERPROFESSION NATIONALE FORÊT-BOIS • HIVER 2022

[24] L’ACTUALITÉ DE L’INTERPROFESSION NATIONALE FORÊT-BOIS • HIVER 2022

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