Difficile d’évaluer le bilan d’un mouvement spontané, décentralisé, aux revendications multiples et parfois confuses tel que celui des Convois de la liberté qui ont convergé de toute la France vers Paris le samedi 12 février avant de rejoindre, pour une partie des automobilistes, routiers, motards, conducteurs et manifestants divers qui participaient à cette convergence, la capitale européenne de Bruxelles ou, pour d’autres, celle de Strasbourg.
Inspiré par le mouvement des routiers Canadiens opposés à la politique sanitaire et principalement aux contraintes vaccinales qui y ont été décidées, le mouvement français n’est pas parvenu à bloquer durablement Paris comme les chauffeurs d’outre-Atlantique bloquent Ottawa depuis maintenant près de trois semaines. Si un certain chaos a gagné le centre parisien le 12 février compte tenu de la fermeté avec laquelle le dispositif policier devait prévenir l’éclatement de manifestations illégales ainsi que d’affrontements devenus quasi-habituels entre certains manifestants et la police, le mouvement semble s’être essoufflé à Bruxelles où l’affluence fut moindre et la protestation peu spectaculaire malgré la promesse d’une convergence internationale (avec des participants venant notamment du Benelux) et la puissance symbolique d’un rassemblement devant les instances de l’Union européenne. De ce point de vue, donc, le mouvement peut être regardé comme un échec relatif.
Toutefois il nous semble avoir ravivé une flamme protestataire que la crise sanitaire avait largement mise en sommeil. Beaucoup y ont vu, à raison nous semble-t-il, une résurgence des Gilets jaunes. Et cet évènement pourrait avoir marqué la première étape du renouveau d’une fronde qui ressurgit ici dans un conflit qui paraît se durcir à mesure que la société fait l’objet d’un contrôle plus étroit de la part de la puissance publique. En cela, ce mouvement n’a peut-être pas essuyé que des défaites mais pourrait aussi avoir marqué des essais dont de prochains mouvements diront s’ils sont transformés ou non.
La puissante cristallisation autour d’une valeur
La dénomination que s’est choisi ce mouvement a été abondamment commentée et critiquée. De fait, la revendication d’une action en faveur d’une valeur, la liberté, était à la fois suffisamment forte et suffisamment abstraite pour agréger divers courants protestataires sous une implacable bannière de légitimité : quoi de mieux qu’une valeur suprême contre laquelle il n’est jamais bien vu de s’élever pour fédérer un mouvement ?
Les contraintes sanitaires, pass vaccinal en tête, étaient au cœur des revendications initiales. Mais les difficultés économiques liées notamment aux prix de l’énergie, comme au départ du mouvement des Gilets jaunes, et plus largement à la vie chère comme le mettait en avant l’un des appels à converger (cf. infra) ; le rapport de défiance envers tout ou partie des élites (politiques, économiques, médiatiques…) et certains de leurs comportements jugés manipulatoires, violents, inappropriés (censure et biais dans le débat démocratique, corruption, entrisme d’intérêts purement privés et/ou concurrents à ceux de la France au plus haut sommet de l’État..) ont également pu motiver nombre de participants.

En revendiquant pour mot d’ordre unitaire celui de « liberté », le mouvement s’est donc ouvert à la projection d’affects et de représentations variés très difficiles à réduire à un seul bord de l’échiquier politique. C’est là une des réussites effectives de cette initiative que d’être parvenue à fédérer largement tout l’échiquier politique (y compris les deux extrêmes opposés) sur la base d’une revendication anti-pass, même si comme nous le voyons l’aspiration à la liberté défendue par ses participants dépasse généralement ce seul objet d’opposition. Un évènement relativement inattendu car, dans plusieurs villes de France, l’unité du mouvement anti-pass a été très rapidement cassée par la résurgence de tensions pré-existantes entre groupuscules d’extrême-gauche et d’extrême-droite, suivant généralement des logiques très territorialisées : les cortèges se sont bien souvent divisés, certains ont même été attaqués, décourageant aussi une partie des participants pacifiques. En « dépaysant » le mouvement et en appelant à une grande convergence nationale sous un étendard suffisamment abstrait pour que différentes sensibilités politiques s’y retrouvent, les Convois ont finalement permis une convergence des luttes suffisamment visible et spectaculaire pour interpeller l’opinion sur la ou les questions de liberté(s) qui se posent actuellement, tandis que les différents groupe anti-pass qui persistent à manifester chaque semaine dans de nombreuses villes font l’objet d’une couverture moindre et réunissent relativement peu de personnes – quoiqu’avec des variations notables en fonction des annonces gouvernementales.
En se positionnant « pour la liberté », ce mouvement a suscité des réactions parfois très vives d’observateurs niant la préemption de cette valeur pour servir une telle cause. Sans surprise, un antagonisme assez franc avec certains représentants du gouvernement s’est rapidement exprimé : « convoi de la honte et de l’égoïsme » selon Clément Beaune (Secrétaire d’État en charge des affaires européennes), promesse de fermeté pour ceux qui voudraient « bloquer la liberté des uns et des autres » en bloquant Paris de la part du Ministre de l’Intérieur, même si d’autres voix dont celle du porte-parole du gouvernement se sont montrées plus tempérées. Un antagonisme malgré tout très dur qui évoque davantage un climat de révolte qu’une protestation classique en vue de porter des revendications précises dans le débat public. Le rapport entre le pouvoir et ces manifestants a donc repris, comme du temps des Gilets jaunes, des airs de contre-insurrection. Une matière dans laquelle il est convenu de considérer qu’insurgés et loyalistes s’affrontent avec pour enjeu central celui de rallier la masse de la population à leur cause : si l’insurrection gagne les cœurs et les esprits d’une masse critique, elle peut triompher ; dans le cas contraire, elle finit par s’étouffer. Or à ce titre, les Convois de la liberté pourraient avoir marqué des points en parvenant à incarner leur cause sans que le tableau ne soit trop assombri par des éléments parasitaires. Ceci, au moins, à deux reprises durant le mouvement et, successivement, de façon positive puis négative.
Sur la route : la liberté en actes et sans incidents
Notre observation a débuté sur le terrain le jeudi 10 février dernier, à Bron, de l’autre côté du périphérique lyonnais. Peu après 18h, quelques personnes s’activaient déjà sur le parking choisi pour accueillir les convoyeurs en provenance de Nice et plus largement du quart sud-Est de la France, voire d’Italie pour certains. Le convoi était attendu pour le début de soirée. Des participants de la région lyonnaise étaient venus passer la nuit sur place avant de partir en direction de Paris avec les autres convoyeurs le lendemain matin. Le reste des personnes présentes était composé de soutiens au mouvement venus encourager les participants et alimenter un point de ravitaillement qui grossira tout au long de la soirée.

Rapidement, les organisateurs de ce rassemblement d’accueil et de ravitaillement du convoi annoncent que le parking sur lequel l’évènement a lieu, dont la capacité annoncée est d’environ 500 places, sera insuffisant pour accueillir des convoyeurs beaucoup plus nombreux que prévu : les estimations annoncées et les chiffres qui circulent parmi la centaine de personnes présentes sur place varient entre 1 000 et 2 000 convoyeurs attendus. Un transfert vers le parking d’une grande surface voisine, bien plus vaste, se prépare et débutera quelques minutes plus tard : les premiers convoyeurs ont de toute façon pris du retard et ne sont pas attendus avant 22h passées.
Dans l’attente, la foule grossit encore. Quelques Gilets jaunes, souvent bardés d’inscriptions en souvenir des manifestations des années 2018-2019, fleurissent au milieu d’un ensemble très éclectique. Il serait à l’évidence hasardeux de se risquer à dégager une tendance sociologique et/ou politique ou idéologique dominante tant la diversité est importante. Tout juste peut-on émettre l’hypothèse selon laquelle le caractère plus philosophique que purement matériel (vie chère, prix de l’énergie…) soulevé par le maître-mot de « liberté » a pu agréger au mouvement des catégories sociales (relativement) peu concernées par le déclassement et la précarité grandissante, y compris des « gagnants de la mondialisation » venus de l’hyper-centre lyonnais voisin, néanmoins sensibles à la question des libertés publiques. Une catégorie sociale qui, si elle n’en était pas totalement absente, est apparue en retrait dans les représentations dominantes du mouvement des Gilets jaunes, souvent caricaturé comme ayant été le réveil de la « France périphérique ». Anecdotique, mais symbolique : c’est une voiture électrique flambant neuve de marque Tesla, réputées notamment pour leur coût élevé, qui sur le parking attire tous les regards grâce à l’immense autocollant qui en orne le capot.

De fait, les restrictions de liberté imposées au titre de la gestion de la crise sanitaire ont concerné l’intégralité de la population sans distinction. Comme nous le relevions déjà l’été dernier lors de notre observation des manifestations anti-pass, l’enchaînement d’injonctions paradoxales, d’annonces contradictoires, et depuis lors la déconnexion apparente entre certaines mesures prises et la situation sanitaire du pays ont conduit nombre de citoyens à s’interroger sur le sens et l’utilité de ces modalités de gestion et à s’inquiéter d’un éventuel changement de société. Dernièrement, la vague Omicron qui s’est avérée moins virulente que les précédentes a aussi durement impacté l’acceptabilité des contraintes. Les séries massives de tests dans les écoles ont affecté beaucoup de parents mécontents de ce traitement, tandis que certaines des contraintes appliquées même aux détenteurs du pass vaccinal comme l’interdiction de consommer debout dans les établissements de restauration et débist de boisson ont pu paraître burlesques. Il n’était donc pas étonnant de retrouver sur ce parking un foule diverse où des inclassables, des marginaux, des militants ou sympathisants des deux extrêmes ou des adeptes de la mouvance QAnon, mais aussi des ouvriers du bâtiment, des employés peu qualifiés et des cadres parfaitement insérés socialement communiaient sinon dans une lecture et une compréhension parfaitement unanime de la situation, au moins dans le rejet de contraintes leur paraissant dépasser l’entendement.
Dans l’attente du transfert, c’est une ambiance de kermesse qui a rapidement gagné le parking brondillant : un groupe de musique s’installe en même temps qu’un barbecue, les bières et le vin délient les langues. Si quelques personnes se connaissent manifestement, la plupart semble se croiser pour la première fois, ce qui ne fait guère obstacle aux discussions spontanées. Assurément, le fait pour les participants d’être réunis sous une même bannière et au nom d’une valeur suprême éveille un sentiment de familiarité, voire de fraternité, qui favorise la relation et la rend sincère : d’où qu’ils viennent et quelle qu’en soit leur interprétation, tous ressentent, parfois très vivement et avec l’épuisement de mois de militantisme, le besoin de défendre cette liberté. Une certaine émotion, parfois teintée de nostalgie – de la « vie d’avant », du temps des Gilets jaunes, de mouvements sociaux passés… – se fait entendre dans les voix.
Mais si ce sont bien les meneurs locaux de la protestation contre le pass sanitaire/vaccinal qui sont à la manœuvre pour organiser, notamment, le transfert vers le nouveau point de rendez-vous ; si les chansons du groupe font régulièrement entendre des messages hostiles au gouvernement aussitôt suivis d’acclamations ; l’ambiance n’est pas pour autant celle d’une manifestation. Ce qui se vit à ce moment là, sur cette marge d’axe routier d’où l’on guette l’arrivée d’un mouvement protestataire, ressemble davantage à la traduction concrète, en actes, des revendications portées : pour nombre de participants, c’est la première occasion de partager sans contrainte un moment de convivialité avec des inconnus depuis l’entrée en application du pass sanitaire. C’est probablement là la plus grande victoire de ce mouvement : avoir su, dans des conditions improbables mais bien réelles, incarner pleinement et vivre sa revendication le temps d’une soirée au moins.
Une fois le transfert effectué, l’accueil des premiers convoyeurs se déroule dans une ambiance festive tout à fait similaire. Les participants, et même un véhicule sérigraphié de la police nationale, sont célébrés par une haie d’honneur à leur entrée sur le parking, sous une nuée de drapeaux français, parfois régionaux, et quelques feux d’artifice. Klaxons et cris d’encouragement recouvrent une bande son pourtant jouée à plein volume. Juste derrière, sur le parking, groupe de musique et barbecue se sont installés et poursuivent leur office.
Le ressenti des participants est vraisemblablement très intense, jubilatoire : c’est une véritable scène de liesse que certains semblent vivre comme une libération. A plusieurs reprises, notamment lors des annonces de l’organisation, le qualificatif d’« historique » est prononcé pour qualifier ce qu’il se passe alors. Le terme est fort, et cette aspiration à revenir dans l’Histoire en (re)devenant une puissance agissante capable d’infléchir le cours des évènements semble effectivement réunir les participants. Néanmoins, cette soirée n’était pas encore le « moment décisif » tant attendu, mais n’en était qu’un préparatif. L’évènement n’en fut pas moins important pour le mouvement selon nous, et ceci à plusieurs titres.
D’abord parce qu’il a permis de solidifier un front relativement unifié autour d’une revendication initiale qui peinait pourtant à rassembler dans les différentes villes, or les fractures des diverses sensibilités ne se sont cette fois-ci pas exprimées de façon à briser le mouvement, et ces rassemblements ont à certains égards été l’occasion de re-motiver les militants, de nouer de nouveaux contacts entre eux. Ce fut aussi l’occasion d’écrire une nouvelle page de l’histoire commune qui semble unir les nombreux sympathisants/militants des Gilets jaunes. Ensuite parce qu’il est, dans les faits, parvenu à tenir en échec la logique des restrictions sanitaires en les contournant par l’organisation quelque peu improbable de véritables boîtes de nuits à ciel ouvert à l’occasion d’un convoi protestataire tout aussi inattendu. Une « anomalie » significative dans ce contexte : derrière ces festivités pacifiques, on peut identifier une victoire symbolique sur la logique du contrôle social que nombre de participants décèlent dans la politique sanitaire en vigueur. Une victoire symbolique d’autant plus grande qu’elle n’a, contrairement aux ronds-points des Gilets jaunes sur lesquels on pouvait parfois retrouver le même état d’esprit, pas été entachée par un quelconque incident significatif. On se souvient en effet que les blocages et l’occupation des axes par les Gilets jaunes avaient parfois été l’occasion d’accidents mortels qui avaient largement contribué à ternir l’image du mouvement, y compris auprès de la population. Or ce soir là, dans la région lyonnaise comme ailleurs semble-t-il, aucun incident n’a été déploré, pas plus que de heurts avec les forces de police.
Paris et le rapport de force avec la police : le choc des images
Nous avons poursuivi notre observation du mouvement à distance, sur le web et les réseaux sociaux. Était-ce pour autant délaisser le champ de bataille ? Sans doute pas, car dès le vendredi 11 février, veille des manifestations parisiennes, la guerre de l’image s’est intensifiée et déplacée dans un registre beaucoup plus dur. La dimension (contre-)insurrectionnelle de la situation est alors apparue avec force. Or là encore, le mouvement de protestation pourrait avoir marqué des points sur le terrain de l’image et des perceptions.
Si jusqu’à l’arrivée des premiers véhicules aux abords de la capitale le mouvement n’avait guère été combattu autrement que par le discours et sur le terrain des idées ou de la légitimité des revendications, la médiatisation de la mise en place du dispositif policier, notamment les fameux blindés de la gendarmerie sur l’avenue des Champs-Élysées, donnait le sentiment qu’une véritable bataille rangée se préparait. Le contraste avec les images des festivités de la veille était déjà saisissant. Le lendemain, un autre évènement inhabituel allait être souligné : la mobilisation de la CRS 8, une Compagnie Républicaine de Sécurité née à l’été 2021 avec pour vocation spécifique de pouvoir intervenir dans des délais extrêmement serrés sur tout le territoire national contre les « violences urbaines » telles que les émeutes qui surviennent dans certains quartiers sensibles.
La police avait reçu pour mission d’empêcher toute tentative de blocage de la capitale de même que tout rassemblement illégal (manifestations non déclarées, en périmètres interdits…). Il est difficile d’établir si la stratégie d’approche des manifestants avait été précisément pensée avec cette visée tactique, mais il est clair que le caractère décentralisé et naturellement chaotique du mouvement – chaque participant pouvant dissimuler son appartenance au convoi pour ne se révéler qu’au moment propice, et agir de façon autonome – ne pouvait que troubler les forces de l’ordre. Une série de symboles peu favorables à la puissance publique s’est alors ouverte.
En voulant empêcher les convois de bloquer Paris le 12 février, la police a procédé à d’importants contrôles, fermé certains accès à la capitale, causant elle-même et paradoxalement, pour ne pas dire ironiquement, un certain nombre de ralentissements sur la route à défaut d’un véritable blocage.
Mais l’image des actions préventives s’est encore dégradée dès lors que les drapeaux français ont été identifiés comme l’un des principaux signes de ralliement du mouvement. Cela revenait en effet à faire du drapeau national un signe subversif : un nouveau retournement symbolique qui allait conduire à des images pour le moins marquantes de dépositaires de l’autorité publique en uniforme malmenant quelque peu les couleurs de la République. Plusieurs de ces images ont circulé et suscité de vives réactions, comme le tweet ci-dessous posté en début d’après-midi par le média Boulevard Voltaire, classé à l’extrême-droite, qui fut relayé plus de 8000 fois à ce jour.
A ce caractère symbolique déroutant se mêle un usage instrumental de nombreuses images défavorables aux forces de police : les participants et soutiens du mouvement ont massivement relayé des images relativement inhabituelles d’usage possiblement disproportionné de la force, dont le cas désormais fameux de cet automobiliste braqué par un fonctionnaire sur la place de l’étoile qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête administrative. Cette image et d’autres contribuant à écrire le récit d’une répression particulièrement forte de l’évènement sont compilées et mises en scène dans le tweet ci-dessous. D’après nos vérifications sommaires, les images de contrôle et manifestation datent bien du 12 février, mais l’extrait télévisuel final semble en revanche être le produit d’un montage.
Tout ceci concourt à installer une image assez favorable au mouvement et défavorable à l’État : un rapport du « faible » au « fort » pouvant paraître déséquilibré (en faveur du fort – l’État et la puissance publique qui mit en œuvre des moyens très conséquents) ; mais aussi du « légitime » (luttant au nom de la liberté, brandissant les couleurs de la République, avec des revendications vagues mais audibles pour une partie significative de la population…) à l' »oppressif » dès lors que réprimer ce mouvement impliquait de faire usage de la contrainte contre des personnes revendiquant la liberté, de traquer les drapeaux français, de déployer des moyens préventifs relativement spectaculaires compte tenu des modalités tactiques choisies par le mouvement, etc… L’une des images particulièrement relayée sur les réseaux de participants montre par exemple la blessure spectaculaire d’un manifestant (cf. infra) : une image relativement choquante qui, parmi d’autres, renforce la perception d’une répression particulièrement dure.
Or, contrairement à ce qui a pu être observé lors de précédentes mobilisations, notamment des Gilets jaunes, aucune image aussi spectaculaire n’est venue compenser cette perception en ternissant l’image des protestataires : si quelques désormais rituels « tout le monde déteste la police » ont effectivement résonné et si certains effectifs de police ont parfois été mis en déroute par certains manifestants particulièrement virulents, si des effectifs mobiles de la BRAV ont été traités d’assassins devant le corps gisant d’un manifestant soigné au sol après un contact, on trouve guère trace d’images aussi spectaculaires et susceptibles de provoquer une telle réprobation que celles des fonctionnaires assaillis sur la place de l’Étoile le 1er décembre 2018 ou que l’injonction « suicidez-vous » adressée à des policiers par certains manifestants en avril 2019 – deux épisodes qui avaient marqué la mobilisation des Gilets jaunes.
Bilan provisoire et perspectives
Si comme nous l’avons dit, il est clair que les Convois de la liberté français, et plus largement européens, ne sont aucunement parvenus à reproduire le mouvement canadien qui les avait inspiré, il ne faut peut-être pas négliger le signal envoyé. Difficile à organiser, impliquant une grande motivation des participants (mobilisés sur plusieurs jours, parfois sur des trajets particulièrement long, avec un risque pénal relativement important compte tenu des interdictions…) et s’étant heurté à un important dispositif de prévention, le mouvement est tout de même parvenu à exister – dans la confrontation – en plein centre de Paris et notamment sur le lieu symbolique de l’avenue des Champs Élysées.
L’évènement pourrait, d’une certaine manière, avoir concrétisé l’aspiration à la re-mobilisation générale post-Covid et contre le gouvernement que l’on voyait à nouveau poindre, notamment dans les milieux activistes d’extrême-gauche, depuis ce début d’année (exemple). Alors que les différents mouvements sociaux de différents secteurs professionnels qui se sont organisés depuis quelques semaines n’ont jusqu’ici jamais débouché sur des manifestations particulièrement marquantes, il est très probable que le potentiel de déstabilisation du mode d’action du Convoi aie séduit nombre de participants désireux de se faire entendre de façon assurément moins précise du point de vue des revendications, mais beaucoup plus spectaculaire sur le plan de l’écho informationnel de la mobilisation et de ses conséquences concrètes dans le rapport de force avec la puissance publique.
Si l’on part du principe que l’évènement a marqué la relance d’un mouvement contestataire de fond initié en France par le mouvement des Gilets jaunes et interrompu par la crise sanitaire, le bilan de cette reprise est plutôt positif nous semble-t-il : la crise sanitaire, ses conséquences politiques, économiques et sociale ont fait basculé un nombre accru de personnes du côté de la contestation. La dimension fondamentalement philosophique et politique, et non pas seulement économique, des revendications qui ont été portées par les Convois contribuent également à élargir, unifier et solidifier un front qui dans sa diversité n’est certainement pas unanime sur ce qu’il veut, mais paraît l’être de plus en plus ce sur ce qu’il refuse – et que le gouvernement lui paraît incarner. Reste à savoir si c’est bien une telle relance que ce mouvement aura marqué.
Une réflexion sur “[NOTE D’OBSERVATION] Regard sur le Convoi de la liberté”
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