[MÉDIOLOGIE URBAINE] Les Voix du Nucléaire se font entendre à Lyon (novembre 2021)

Le 1er novembre 2021 à Lyon (69), un autocollant laissé sur un réverbère interpelle le passant quittant la gare de Perrache en direction de la place Carnot : « Le nucléaire sauve des vies », signé voixdunucleaire.org. Une curiosité de plus à ranger aux côtés de l’interpellation d’Enercoop, fournisseur d’électricité d’origine renouvelable, saisie à La Rochelle et documentée dans notre premier article de médiologie urbaine. Mais alors que le fournisseur coopératif et militant, outsider sur le marché de l’énergie, utilisait les méthodes bien connues des ONG dont il est proche en matière d’interpellation de l’opinion, c’est ici la très institutionnelle filière nucléaire qui emploie un vecteur traditionnellement usité par les groupes militants.

Lyon, 1/11/2021, secteur Perrache

Souvenir d’un rassemblement du 25 septembre ?

Si la guerre des arrachages entre « lobbies » ou groupuscules adverses fait rage à Lyon comme dans la plupart des grandes villes, cet autocollant que l’on imagine pourtant prompt à susciter la réprobation de nombreux militants attentifs à tout ce que l’espace urbain compte de messages revendicatifs aura eu une certaine durée de vie. Si notre photographie a été prise le 1er novembre, il est en effet probable que l’autocollant ait été aposé à cet endroit quelques semaines plus tôt, le 25 septembre 2021, lors de la « Fê(ai)te(s) du nucléaire » organisée par Les Voix du Nucléaire sur la place Carnot (Lyon 2e) et répondant à l’appel du réseau international Stand up for nuclear. Un évènement pro-nucléaire adressé au grand public reprenant les codes et méthodes d’interpellation classiques des ONG (messages amusants et percutants sur fonds de couleurs vives, détournements d’objets…). Autre signal fort envoyé à l’occasion de cet évènement : la présence de l’activiste Zion Lights (cf. infra), ancienne porte-parole du groupe écologiste radical Extinction Rebellion, qui a depuis quitté cette fonction et milite aujourd’hui pour le nucléaire, toujours au nom de la lutte contre le réchauffement climatique.

L’évènement avait lieu le même jour que le déploiement, plus traditionnel, d’une banderole réclamant la programmation de l’arrêt de la centrale voisine du Bugey par les militants de Greenpeace.

« Le nucléaire sauve des vies » : communiquer sur les risques et le climat

L’interpellation « le nucléaire sauve des vies » peut être lue de deux façons simultanées, qui correspondent vraisemblablement aux deux principaux axes de communication des Voix du nucléaire.

Premièrement, la dimension climatique : les militants pro-nucléaires font effectivement valoir qu’il s’agit d’une énergie « bas carbone » qui ne « pollue pas l’air ambiant » et a de surcroît un « moindre impact en espace occupé et ressources naturelles consommées » (site de l’association). Cette dimension environnementaliste apparaît centrale dans le discours porté par l’association qui cherche donc à s’imposer dans le débat sur la transition écologique et les stratégies énergétiques. L’enjeu est à la fois de signifier que l’énergie nucléaire (de même que ses autres applications, médicales par exemple) ne contribuent pas au réchauffement climatique et à l’érosion de la biodiversité. C’est le message que symbolise l’ours polaire que l’on retrouve dans toutes les manifestations du réseau Stand up for nuclear.

Cet axe est exploité à son maximum par l’association qui n’hésite d’ailleurs pas à prendre au mot les autres organisations écologistes. Par exemple, la photo ci-dessous prise lors d’un rassemblement similaire à Paris le 9 octobre 2021 fait clairement apparaître, au sol et devant les militants pro-nucléaire, la signature du groupe écologiste radical Extinction Rebellion – un sablier qui symbolise l’urgence climatique.

Le second axe sur lequel Les Voix du nucléaire communiquent abondamment concerne les risques inhérents au nucléaire. En effet, la question des risques technologiques et sanitaires constitue un autre angle d’attaque important pour les anti-nucléaire. Un domaine où la communication est complexifiée par le manque de connaissances scientifiques de la population générale. L’enjeu est ici pour les militants pro-nucléaire de démontrer l’innocuité de cette technologie qui « sauve des vies » et donc, a fortiori, n’en menace pas non plus.

Pour rassurer sur les rayonnements, Les Voix du nucléaire ont notamment choisi le procédé de la comparaison – ici avec une banane, évoquant le blog de vulgarisation Dose équivalent banane tenu par l’ingénieur Tristan Kamin (par ailleurs membre du Conseil d’administration des Voix du nucléaire).

Le procédé de la démonstration est également mobilisé avec des mesures de la radioactivité. Un axe qui n’est pas sans évoquer la subvention accordée quelques jours plus tard par la Métropole de Lyon à la CRIIRAD – association fondée par l’élue écologiste Michèle Rivasi suite à l’accident de Tchernobyl – pour la surveillance en temps réel de la radioactivité (délibération de la collectivité). Une subvention d’une collectivité dirigée par les écologistes à destination d’une organisation écologiste que d’aucuns ont pu prendre comme un signe de défiance à l’égard du nucléaire, dans la mesure où les services de surveillance de l’État n’ont semble-t-il pas été sollicités.

Par ailleurs, les Voix du nucléaire produisent et diffusent de l’information sur la sûreté des installations nucléaires – répondant ainsi à l’angle d’attaque notamment exploité par Greenpeace pour réclamer la fermeture de centrales dont l’ancienneté est présentée comme un facteur de risque (cf. banderole supra). On peut donner l’exemple de cette campagne des Voix du nucléaire concernant l’accident de Fukushima, visant à présenter des « réalités méconnues » de nature à casser la confusion entre l’accident nucléaire et la catastrophe naturelle.

Lobby ?

Une question se pose à la découverte de cette organisation : les Voix du nucléaire sont-elles le relais « citoyen » d’un « lobby » du nucléaire ? S’agit-il, pour cette industrie stratégique aujourd’hui sous la pression de nombreuses contestations dans le débat public, de faire valoir ses intérêts sous les apparences légitimes d’un mouvement citoyen agissant sur le même terrain que les opposants ?

Les Voix du nucléaire récusent le terme de « lobby » et se définissent comme « une association citoyenne de bénévoles, indépendante de toute attache économique, institutionnelle, syndicale ou politique« . Toutefois, et sans surprise, le noyau dur de l’association semble être composé de professionnels du secteur (équipe et conseil d’administration).

Doté d’un budget de fonctionnement modeste (66 631€ en 2020), l’association n’emploie que des bénévoles. Elle déclare cependant recevoir des dons, notamment de « 5 entreprises principales » dont ne font pas partie EDF, mais qu’elle ne nomme pas. L’association est néanmoins inscrite au registre des représentants d’intérêts tenu par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique : elle n’y a pour l’heure déclaré qu’une action de présentation de l’association à deux ministères français en 2020, avec un budget affecté à cette opération inférieur à 10 000€. On retrouve néanmoins parmi ses « organisations d’appartenance » des entités qui, elles, réalisent de véritables actions de lobbying sur des enjeux précis.

Les Voix du nucléaire, fondées en 2018, semblent donc bien correspondre à un mouvement citoyen – bien que par nature proche de l’industrie défendue, né pour faire porter des arguments au moment où la question climatique voyait croître son importance dans le débat public national et international. Il n’est donc pas étonnant de le voir adopter des codes proches ou similaires à ceux qui font la marque de fabrique des nouvelles générations d’organisations écologistes. Aussi, dans la bataille cognitive, la sociologie de ce mouvement présente l’intérêt de pouvoir fournir un discours expert et donc légitime. Il a néanmoins la pertinence tactique de ne pas se limiter à une communication scientifique aride et de mobiliser – aussi – des éléments sensoriels et émotionnels au soutien de son discours, dans la pure tradition des luttes écologistes – anti-nucléaire comprises.