La filière bois face aux défis climatiques

Alors que les Assises de la forêt doivent se tenir cet automne, la filière bois se mobilise pour renforcer le secteur, sécuriser les approvisionnements et valoriser son potentiel économique. En effet, les forêts françaises font face à des enjeux climatiques majeurs poussant le secteur public et privé à se réorganiser et innover. Nous abordons ici la question des enjeux climatiques et des solutions apportées par les secteurs public et privé.

Etat des lieux climatique des forêts françaises

Qu’elles soient publiques, domaniales ou privées, les forêts françaises représentent 16,9 millions d’hectares, soit 31% de la surface de l’hexagone contre 14,1 millions d’hectares en 1985 selon l’organisme France Bois Forêt[1]. En effet, la forêt française est en nette progression selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) : sa superficie a augmenté de 0,7% par an depuis 1985.

La diversité des essences est une autre caractéristique majeure du parc forestier français : on compte sept essences principales dont le chêne et le hêtre pour les feuillus et le pin maritime ou sylvestre pour les résineux. Cependant, les peuplements de feuillus sont majoritaires en France, représentant ainsi 67% des forêts. Le chêne à lui seul constitue 42% du volume total des feuillus[2]. Les forêts françaises sont donc riches, diverses et couvrent une large partie du territoire. Mais les forêts telles que nous les connaissons aujourd’hui font face à de nombreux enjeux climatiques.

La forêt est avant toute chose une alliée face aux enjeux climatiques. Véritable refuge pour de nombreuses espèces d’animaux et de végétaux, « la forêt joue aussi un rôle essentiel dans la lutte contre la hausse des températures, par le piégeage du carbone de l’atmosphère » rappelle Manuel Nicolas, responsable du Renecofor (Réseau National de suivi à long terme des Ecosystèmes Forestiers) à l’ONF (Office Nationale des Forets)[3]. En effet, les arbres agissent de trois manières différentes dans le cycle carbone : par sa captation, par son stockage et par effet de substitution via la production d’une énergie dite renouvelable.

Mais la hausse des températures impacte directement la forêt, son écosystème, et toutes les essences sont touchées. L’ONF relève que ce phénomène favorise de véritables crises sanitaires avec par exemple la prolifération de scolytes ravageant des hectares d’épicéas, par exemple dans le Grand-Est, en l’espace de quelques mois seulement : « Ces insectes se développent après des tempêtes ou, comme en 2019, après une sécheresse, quand les arbres sont fragilisés et plus vulnérables face aux attaques des ravageurs. Les scolytes en profitent et pullulent, jusqu’à former des populations suffisantes pour attaquer aussi des arbres sains ». C’est ce que rapporte l’Est Républicain dans un article en date du 21 août dernier, alors que 11 ha de forêt ont été ravagés dans la forêt de Loray (Doubs) : «  En 2018, le volume des chablis récoltés était de 1 234 m³. En 2020 c’était plus de 3 000 m³ de bois scolytés. Certaines parcelles furent touchées à 50 % » ajoute le maire de la commune Claude Roussel[4].

Face à cela, l’ONF actionne quatre leviers : l’état des lieux des forêts, la détection précoce des scolytes, le piégeage aux phéromones et des coupes sanitaires exceptionnelles pour endiguer l’épidémie. L’organisme évalue l’ampleur des dégâts : « Environ 6,5 millions de m³ de bois déclassés ont été récoltés en 2019-2020 par l’ONF, contre moins de 1 million en moyenne sur une année normale. En 2020, les bois dépérissants (en raison de diverses maladies : scolyte, chalarose…) représentent 26 % de la récolte en forêt publique »[5].

« L’augmentation des températures induit un allongement de la saison de végétation (…) cela augmente aussi les besoins en eau donc le stress hydrique sur les marges méridionales des espèces. »

Aux épisodes de sécheresses l’été s’ajoute la hausse des températures au cœur de l’hiver, autant de bouleversements météorologiques et donc environnementaux qui affaiblissent les forêts. Le réseau Aforce (Adaptation des Forêts au Changement Climatique) précise l’enjeu : « L’augmentation des températures induit un allongement de la saison de végétation (…) cela augmente aussi les besoins en eau donc le stress hydrique sur les marges méridionales des espèces. À plus long terme, les hivers trop doux devraient perturber la levée de dormance des bourgeons et des graines. »[6]. La hausse des températures entraîne donc une modification majeure dans la répartition des espèces, ajoute le réseau Aforce. En effet, il a été observé que l’augmentation des températures dans le Nord de la France permet à certaines essences de s’y installer durablement. C’est notamment le cas du chêne vert : « A la faveur de climats suffisamment doux, s’étend en Aquitaine, et le réchauffement lui ouvre potentiellement de nouveaux espaces dans l’Ouest en général »[7]. A l’inverse, le pin sylvestre connaît un certain déficit de population dans les Alpes du Sud en raison d’un stress hydrique et des récentes anomalies climatiques

La réorganisation de la filière bois face aux enjeux climatiques

Face à ces enjeux climatiques et météorologiques, l’État et l’ensemble de la filière bois doivent se réorganiser et agir pour une plus grande résilience des forêts. Pour ce faire, l’Etat via l’ONF organise la « migration assistée » en choisissant des espèces et en les transportant vers des climats plus cléments où les graines pourront s’adapter dans quelques années. C’est par exemple l’objet du projet « Giono », porté par l’ONF : des graines de diverses essences ont été sélectionnées dans le Sud du pays pour germer en Loire-Atlantique et finalement être plantées en forêt de Verdun (Meuse)[9].

Parallèlement à la migration assistée, la connaissance des sols est tout aussi nécessaire ajoute Noémie Pousse (Chargée R&D pédologie au pôle Recherche, développement et innovation (RDI)) à l’ONF : « Les plantations engagées dans le cadre du plan de relance doivent permettre aux forêts les plus exposées aux risques climatiques d’être plus résilientes, et de reconstituer les peuplements détruits, notamment en misant sur une plus grande diversité d’essences. Pour réussir de telles plantations, il est important de connaître l’état du sol, afin de privilégier des essences qui pourront s’y adapter. ».

« A cause de la forte vulnérabilité climatique des espèces et de l’importante surface forestière concernée, il faut trouver des espèces et des provenances plus résistantes. »

Par ailleurs, l’organisme mise également sur les « îlots d’avenir » visant à sélectionner, tester et analyser des essences en pleine forêt afin de déterminer quelles sont les espèces les plus résistantes pour l’avenir : « A cause de la forte vulnérabilité climatique des espèces et de l’importante surface forestière concernée, il faut trouver des espèces et des provenances plus résistantes », déclare Brigitte Musch (Responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers (CGAF)) à l’ONF[10]. Depuis la création du premier d’îlot d’avenir dans la forêt domaniale de la Haye (Meurthe-et-Moselle), c’est plus de 200 îlots d’avenir qui seront créés d’ici 2022.

L’enjeu climatique et environnemental est également relevé par un plan de relance de 200 + 100 millions d’euros[11], visant divers objectifs : un plan de reboisement de 45 000 hectares de forêts visant à « capter 150 000 tonnes de CO2 supplémentaires chaque année[12] », la création d’un fonds forêt de renouvellement et d’adaptation au changement climatique doté de 150 millions d’euros pour venir en aide aux propriétaires forestiers publics ou privés, d’une aide spécifique pour la filière graines et plants, d’un renforcement des dispositifs de soutien de Bpi France aux entreprises de la filière bois et enfin le développement d’une couverture LiDAR HD afin de cartographier en HD les forêts françaises et ainsi de faciliter « la dématérialisation des procédures administratives et demandes d’aides, le suivi et le contrôle des défrichements, des coupes rases, et de la reconstitution des peuplements, ou encore le suivi de l’état sanitaire des forêts ou la prévention du risque « feux de forêts »[13].

Entre la hausse des températures, la multiplication des crises sanitaires et des déstabilisations météorologiques, les forêts françaises font donc face à de nombreux défis. A cela s’ajoutent des turbulences de nature géoéconomiques, la crise du Covid-19 ayant notamment fait ressurgir une véritable tension autour de la chaîne de production et d’approvisionnement accentuée par certaines pratiques prédatrices.


[1] https://franceboisforet.fr/la-foret/la-foret-francaise-en-chiffres/

[2] https://www.onf.fr/onf/forets-et-espaces-naturels/+/20::les-forets-de-nos-territoires.html

[3] https://www.onf.fr/onf/chez-moi-avec-lonf/+/62c::les-enjeux-de-la-foret-face-au-rechauffement-climatique-questions-manuel-nicolas.html

[4] https://www.estrepublicain.fr/environnement/2021/08/21/des-preconisations-attendues-apres-les-ravages-des-scolytes

[5] https://www.onf.fr/onf/+/2e0::epidemie-de-scolytes-les-forestiers-de-lonf-sur-le-front.html

[6] https://www.reseau-aforce.fr/n/effets-attendus-du-changement-climatique-sur-l-arbre-et-la-foret/n:3254

[7] https://www.reseau-aforce.fr/n/effets-attendus-du-changement-climatique-sur-l-arbre-et-la-foret/n:3254

[8] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/deboisement-illegal-en-ariege-enquete-pour-vols-avec-degradations-20210318

[9] https://agriculture.gouv.fr/adapter-les-essences-darbres-au-changement-climatique

[10] https://www.onf.fr/onf/forets-et-changement-climatique/nos-articles/+/5b2::les-ilots-davenir-des-plantations-pour-lutter-contre-le-changement-climatique.html

[11] https://franceboisforet.fr/2021/09/15/conseil-national-de-lindustrie-communique-de-presse-du-15-septembre/

[12] https://agriculture.gouv.fr/reboiser-les-forets-francaises-poumons-verts-de-notre-territoire

[13] https://agriculture.gouv.fr/reboiser-les-forets-francaises-poumons-verts-de-notre-territoire

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