Sans intention polémique, Diatopes s’intéresse aux phénomènes géopolitiques et géoéconomiques territoriaux avec pour mission de chercher à les comprendre. Couvrant notamment les mouvements sociaux, nous nous intéressons naturellement au mouvement actuel d’opposition au « pass sanitaire » en France. La plateforme Animap.fr est apparue comme une expression parmi d’autres de ce mouvement. Jusqu’ici traité par la presse généraliste, ce sujet offre des perspectives d’analyse intéressantes pour la géopolitique, voire la géoéconomie locales. Nous avons donc choisi d’y consacrer une série d’articles. Après un propos introductif, ce deuxième volet est consacré à une lecture géographique de la cartographie des établissements refusant le pass sanitaire en France métropolitaine proposée par Animap.
Quels enseignements tirer de la carte des établissements qui déclarent refuser l’application du « pass sanitaire » sur le territoire métropolitain mise en ligne sur la plateforme animap.fr ? C’est la question que nous avons choisi de nous poser dans cette deuxième partie consacrée au phénomène Animap – lequel n’est, rappelons-le, qu’une manifestation parmi d’autres du mouvement composite d’opposition au « pass sanitaire » en France qui s’exprime depuis la deuxième semaine du mois de juillet 2021.
Précisons d’emblée que cette analyse se heurte à quelques difficultés :
- Cartographiés sur OpenStreetMap, les établissements recensés apparaissent, selon l’échelle de visualisation choisie, comme des points individuels (goutte inversée de couleur bleu), ou bien regroupés sous des points d’une couleur variant entre le vert et l’orange en passant par le jaune selon le nombre d’établissements représentés. Chacun de ces points de couleur couvre une aire d’une forme et d’une étendue variable, laquelle contient tous les points individuels recensés. Une tendance générale semble se vérifier dans nombre de cas : plus le nombre de sites rassemblés sous un point de couleur est important, plus l’aire correspondante est vaste. La localisation du point de couleur semble se fixer comme une sorte de « centre de gravité » des localisations des établissements environnants. Certaines aires de points voisins se recoupent. Aussi, la localisation des points varie en fonction de l’échelon auquel on consulte la carte, mais aussi, semble-t-il, à mesure que le nombre de sites recensés évolue lui aussi. La lecture et le suivi s’en trouvent donc compliqués.
- La médiatisation d’Animap ayant provoqué une réaction du Ministre de l’Intérieur appelant à contrôler prioritairement les établissements réfractaires recensés sur la carte (voir notre propos introductif), les gestionnaires de la plateforme ont décidé d’en retirer les adresses exactes afin d’entraver le ciblage (voir ici). Seuls la ville et le code postal des établissements subsistent. La localisation précise des établissements sur la carte s’en est trouvée brouillée : de nombreux points apparaissent éloignés de leur véritable localisation. Un niveau de brouillage supplémentaire est régulièrement constaté sans que l’on sache s’il est le fait de la plateforme ou des personnes s’y inscrivant : parfois, il n’existe aucune concordance entre la localisation cartographique, le code postal indiqué sur Animap et l’adresse officielle trouvée sur le site web de l’établissement (selon l’adresse web recensée par Animap). Il paraît donc hasardeux de se risquer à des analyses à des échelons trop réduits (une ville par exemple) compte tenu des nombreuses incertitudes qui planent quant aux localisations exactes des établissements.
Les biais introduits par la cartographie proposée et son évolution au gré des inscriptions sont donc nombreux et compliquent l’analyse à tous les échelons. Nous tentons néanmoins d’en dégager quelques lignes de force.
Au moment de nos premières observations (30 juillet 2021, 16h00), 6 338 établissements étaient recensés par Animap sur le seul territoire de France métropolitaine (hors Corse et COM) pour . Un nombre qui demeure relativement faible en comparaison du nombre d’entreprises françaises (2,3 millions hors micro-entrepreneurs dans les seuls secteurs marchands non agricoles et non financiers en 2018 d’après l’INSEE), ou même des 204 090 manifestants anti-pass sanitaire comptabilisés dans les rues de France par les services du Ministère de l’Intérieur ce 31 juillet 2021 – même si chaque citoyen n’est évidemment pas chef d’entreprise.
Pour autant, le premier constat que nous pouvons faire est qu’à l’instar des manifestations qui se multiplient depuis les annonces présidentielles du 12 juillet dernier, le phénomène Animap s’étend, certes de façon inégale, mais néanmoins sur l’intégralité du territoire métropolitain. La Figure 0 ci-dessous (1er août 2021, 11h00) en témoigne – à noter que si, à cette échelle, certaines parties du territoire apparaissent comme des « zones blanches » où aucun point ne figure, comme entre Limoges et Clermont-Ferrand (étendue majoritairement constituée par la Creuse, deuxième département le moins peuplé de France), les aires des points de couleur alentours couvrent partiellement ce territoire, nous y reviendrons.

La Figure 0, fait apparaître de premières disparités. On peut dégager 5 grandes aires dominantes localisées :
- Sur le littoral méditerranéen entre Nîmes et Nice, avec une intensité accrue à partir de Marseille, et des aires qui mordent également sur l' »arrière-pays ».
- En région Auvergne Rhône-Alpes avec une concentration particulièrement importante à l’Est, aux abords de la frontière suisse, phénomène sur lequel nous avions émis des conjectures dans notre premier volet.
- A Paris et dans sa banlieue (principalement dans la « petite couronne », comme on le constate en resserrant le champ de vision sur la capitale).
- Sur la façade Atlantique, sur une bande située entre Brest et La Rochelle, bras qui connaît également une certaine excroissance à l’intérieur des terres depuis Rennes jusqu’à Tours en passant par Angers.
- Dans le Sud-Ouest, principalement dans un triangle ralliant Bayonne, Bordeaux et Perpignan en passant par Toulouse.
Un maillage territorial fin
Les « centres de gravité » – les points de couleur orange qui représentent plus de 100 implantations – se fixent de façon quasi-systématique sur ou aux abords immédiats d’une ville. A ce titre, les 10 communes les plus peuplées sont largement représentées. Il faut cependant noter que ces points couvrent généralement une aire urbaine environnante plus ou moins vaste.
En descendant à l’échelon inférieur (Figure 1), on s’aperçoit que si les 10 plus grandes villes de France constituent toutes des centres de gravité importants (à l’exception de Lille qui affiche un léger retrait), de nombreuses villes moyennes constituent également, à leur proportion, des points de fixation relativement importants (Angers, Poitiers, La Rochelle, Clermont-Ferrand, Grenoble notamment…).
En resserrant encore notre angle de vue (Figure 2, à titre d’exemple), on constate enfin qu’outre les centres urbains, le territoire est assez largement parsemé de points verts (qui représentent chacun 2 à 9 implantations) couvrant des aires très peu vastes, complétant le tableau d’un maillage territorial plutôt fin : bien qu’étant peu nombreuses, les implantations recensées quadrillent assez régulièrement et intégralement le territoire.
Figure 1 Figure 2
Des polarités urbaines à relativiser : un phénomène plus diffus qu’il n’y paraît
Si les vues à grande échelle rendent l’impression d’une forte polarisation dans les villes, le fin quadrillage du territoire par des implantations éparses nous incite donc à nuancer l’interprétation d’un phénomène essentiellement concentré dans les centres urbains : en resserrant le champ d’étude sur une ville, on constate généralement un éclatement des implantations initialement rassemblées sous un même point, dans une grande ville. Si le centre urbain demeure prédominant, ce qui semble naturel compte tenu de la concentration de population et d’activités économiques que l’on y retrouve, la diffusion des établissements recensés dans une périphérie plus ou moins lointaine concerne bien souvent un effectif non négligeable. Le maillage apparaît donc fin, mais aussi relativement équilibré entre centres (grandes et moyennes villes) et périphéries.
Nous illustrons cette analyse avec pour premier exemple la ville de Dijon (population intra-muros de 156 854 habitants en 2018), qui en Figure 3 apparaît comme le point central d’une aire relativement vaste comptabilisant 166 établissements. En s’approchant d’un cran (Figure 4, après 1 clic sur le point rouge de 166 établissements), le champ de vision du territoire reste large mais la ville de Dijon n’apparaît plus que comme un point jaune de 30 établissements, entouré de quelques autres points jaunes de moindre importance et d’une multitude de points verts. Ce sont donc environ 80% des 166 points situés dans l’aire vue en Figure 3 qui ne sont pas situés à Dijon ou à ses abords immédiats, qui semblait pourtant constituer le centre de gravité de cette aire. En Figure 5, nous distinguons clairement les contours de la ville et les communes alentours : on comptabilise à peine une vingtaine d’établissements intra-muros. La Figure 6, à prendre avec précaution compte tenu des imprécisions sur les localisations décrites en avant-propos, voit le nombre d’implantations dijonnaises se réduire encore.
Figure 3 FIgure 4 FIgure 5 Figure 6
Second exemple pour illustrer ce biais cartographique : Nantes (8ème ville de France, 314 138 habitants intra-muros en 2018), qui connaît un phénomène identique bien que dans des proportions légèrement différentes.
Figure 7 Figure 8 Figure 9 Figure 10
Ci-dessous, la Figure 11 couvre une partie du territoire métropolitain pris dans toute sa largeur. Si des polarités apparaissent clairement au niveau des grandes villes (Bordeaux, Lyon…) et des régions denses où l’activité économique est importante (vallée du Rhône…), on relève toutefois une proportion non négligeable et une implantation assez régulière de petits clusters (points verts), même dans les deux départements les moins peuplés du pays (Lozère et Creuse).

On relève enfin que, de façon sans doute ponctuelle et anecdotique, des pôles de moindre envergure mais néanmoins significatifs lorsqu’ils sont rapportés à la population locale peuvent être identifiés en périphérie. Nous prenons l’exemple atypique d’Aouste-sur-Sye dans la Drôme (moins de 3 000 habitants), commune identifiée dans cet article de Libération qui décrit la région comme « populaire au sein des milieux libertaires » et particulièrement opposée aux restrictions sanitaires : on constate effectivement, sur Animap, un léger pôle de 11 implantations visible en Figure 12 – ce qui reste important en comparaison de la faible densité de population locale.

Quels enseignements ?
Le constat d’un phénomène diffus et, toute proportion gardée, relativement équilibré entre centres et périphéries rejoint l’analyse globale que l’on peut faire du mouvement anti-pass sanitaire tel qu’il s’exprime sous d’autres aspects, dont les manifestations physiques dans les rues de France.
Outre sa diversité sociologique, la diffusion du mouvement jusque dans les périphéries est l’un des éléments qui fondent l’analogie avec le phénomène des « Gilets jaunes ». Les manifestations du 31 juillet 2021, dont la Figure 13 présente une cartographie non-exhaustive, illustrent elles aussi la diffusion du mouvement de protestation sur le pavé à des communes de tailles parfois très modestes où les mouvements sociaux ne s’expriment pas de façon habituelle, du moins sous cette forme : par exemple à Nyons (moins de 7 000 habitants), Langres (moins de 8 000 habitants), Foix, Figeac (moins de 10 000 habitants) pour n’en citer que quelques unes parmi les plus petites.
On y retrouve également des rassemblements assez nombreux dans les 5 aires définies au premier temps de notre analyse avec, surtout, une intensité particulière en région PACA et à proximité de la frontière avec la Suisse. Animap semble donc bien suivre certaines tendances géographiques communes avec le mouvement « de rue » d’opposition au pass sanitaire.

Une réflexion sur “Animap : une fenêtre sur le mouvement anti-pass sanitaire (Partie 2)”
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