Sans intention polémique, Diatopes s’intéresse aux phénomènes géopolitiques et géoéconomiques territoriaux avec pour mission de chercher à les comprendre. Couvrant notamment les mouvements sociaux, nous nous intéressons naturellement au mouvement actuel d’opposition au « pass sanitaire » en France. La plateforme Animap.fr est apparue comme une expression parmi d’autres de ce mouvement. Jusqu’ici traité par la presse généraliste, ce sujet offre des perspectives d’analyse intéressantes pour la géopolitique, voire la géoéconomie locales. Nous avons donc choisi d’y consacrer une série d’articles. Ce premier propos se veut introductif et vise à re-contextualiser le sujet Animap dans le mouvement, plus général, d’opposition au pass sanitaire et plus généralement de contestations des mesures sanitaires qui ont émaillées l’épidémie de Covid-19.
La fronde contre la mise en place du « pass sanitaire » en France est très rapidement montée suite aux annonces du Président de la République Emmanuel Macron en date du 12 juillet 2021. Le mouvement s’est exprimé par des manifestations dans de nombreuses villes de France dès le mercredi 14 juillet. Mais la contestation passe aussi par des tentatives de contournement des règles prévues, voire par la revendication d’une démarche de désobéissance civile.
C’est ainsi que l’on a vu ressurgir le site web animap.fr, apparu dans le viseur de la presse française dès le mois de mai dernier : il répertoriait déjà « les commerçants, les prestataires de services et les entreprises qui n’exigeront jamais de test de dépistage ou de certificat de vaccination pour accéder à leurs locaux » selon cet article de France Soir.
Revenu sur le devant de la scène le 21 juillet suite à cet article d’Océane Herrero pour Le Figaro, le phénomène a cette fois-ci trouvé plus d’écho compte tenu du contexte de mise en place effective du pass sanitaire en France, provoquant notamment une condamnation publique par le Ministre de l’Intérieur sur Twitter.
On note que la médiatisation puis l’annonce du Ministre de l’Intérieur n’ont manifestement pas provoqué de recul du nombre d’inscriptions qui, ce 26 juillet encore, poursuivait sa croissance.
Annuaire des infracteurs ou cartographie de réfractaires ?
L’effet d’annonce médiatique mérite aussi d’être relativisé au vu du nombre d’établissements réellement soumis à l’application du pass sanitaire recensés sur Animap. En effet, une analyse rapide permet de déterminer qu’ils sont assez largement minoritaires parmi les 6 284 établissements comptabilisés lors de nos observations (25 juillet 2021, 12h10).
La typologie des sites recensés peut s’étudier via le nuage de catégories située sous la carte d’Animap (Figure 0). Alors que l’on s’attend volontiers à trouver nombre d’établissements directement concernés par l’application du pass sanitaire tels que des bars et restaurants, on constate que la catégorie la plus représentée est « Médecins, médecine et santé » (1407 inscrits), suivie par la rubrique fourre-tout « Autres » (1195 établissements). Viennent ensuite les catégories « Commerce » (877), « Service » (600), « Artisanat » (490) puis « Art et culture » (288) pour ne citer que les plus représentées. On note d’ailleurs que certaines dénominations sont relativement vagues.

La rubrique « Gastronomie » – qui ne compte pas que des restaurants mais également des producteurs ou fournisseurs divers de denrées ou produits transformés – ne compte quant à elle que 245 établissements. Il n’existe pas de rubrique dédiée aux cafés et bars, mais nous estimons le nombre d’établissements recensés de ce type à moins d’une cinquantaine (évaluation basée sur des requêtes Google ciblant animap.fr avec les mots-clés correspondants le 25 juillet). D’après cet article du Point, sur près de 5 943 inscrits comptabilisés le 22 juillet, 200 seulement étaient des bars et restaurants.
Nos recherches concernant d’autres types d’établissements concernés par le pass (écoles, cinémas, musées, hôtels) n’ont pas non plus retourné de résultats significativement nombreux. Parmi les 256 établissements recensés dans « Sports et loisirs », certaines associations pourraient être tenues d’appliquer le pass sanitaire – il faudrait toutefois connaître les capacités d’accueil des structures en question pour l’établir avec certitude (le pass s’appliquant au-delà de 50 personnes accueillies).
On peut donc présumer qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, une large majorité d’établissements recensés sur Animap.fr ne sont pas et ne devraient pas être tenus d’appliquer le pass sanitaire dans les prochains jours. Même si telle est probablement sa vocation, animap.fr n’est donc pas réellement – en l’état actuel des choses – un véritable annuaire des infracteurs revendiqués à la législation imposant le contrôle du fameux pass. Mais dès son apparition à la fin du mois d’avril, date à laquelle la question du pass sanitaire ne se posait pas de façon aussi actuelle et précise qu’aujourd’hui, la plateforme recensait des établissements réfractaires à la discrimination du public sur critère sanitaire. L’inscription sur animap.fr pouvait alors être regardée comme une déclaration d’intention à valeur essentiellement symbolique, voire comme une anticipation des mesures à venir. Mais ce n’est semble-t-il qu’à mesure que l’éventualité d’un pass sanitaire en France se précisait que le nombre de sites recensés a véritablement augmenté – à en juger par les archives d’animap.fr enregistrées sur archive.org.
Il faut également relever que l’inscription des lieux et entreprises sur cette carte se veut purement personnelle et volontaire : a priori, tous les sites recensés le sont suite à une demande du propriétaire du lieu, gérant de l’entreprise, etc. Cette demande s’effectue via un simple formulaire en ligne sur le site web (ce qui pourrait d’ailleurs laisser imaginer des détournements possibles tels que l’inscription d’un établissement par un tiers). Animap ne saurait donc avoir de prétention à l’exhaustivité : elle ne reflète que la démarche personnelle de personnes physiques ou morales qui ont souhaité rendre publique leur engagement contre le pass sanitaire.
Il n’en demeure pas moins que la plateforme est une fenêtre ouverte sur une partie du mouvement anti-pass sanitaire qui mérite d’être étudiée en tant que telle. Elle présente l’intérêt de concerner l’intégralité du territoire national, ce qui offre une focale intéressante pour l’analyse géopolitique – nous y reviendrons dans nos prochains articles sur le sujet. Mais il convient préalablement de contextualiser ce phénomène.
Aux origines de la plateforme : les connexions suisses
Si certains articles de presse se sont bornés à relever que le site était anonyme, on lui trouve en réalité très facilement des connexions avec des organisations identifiées. Le nom de domaine du site web a été déposé le 15 avril dernier pour le compte d’un titulaire effectivement anonyme, mais le site est hébergé à Bâle, en Suisse, et le contact technique désigné est également Suisse : il s’agit d’un ancien membre du parti suisse UDC (classé à l’extrême-droite de l’échiquier politique) et initiateur de l’association ReAktion (ReAction dans sa version francophone). Particulièrement active contre les mesures sanitaires liées à l’épidémie de Covid-19 en Suisse, celle-ci apparaît faire partie d’une nébuleuse de sites web et d’organisations partageant ce même objectif. C’est ReAktion qui revendiquait, fin mars 2021, la création d’animap.ch. Depuis, animap.fr et animap-benelux.com ont également été créés sur le même modèle.
L’argumentaire de ReAktion est plutôt concentré contre les restrictions de liberté imposées par les mesures sanitaires et un souci de justice social (contre une « société à deux classes »). Les autres organisations vers lesquelles la liste de liens de son site web renvoient adoptent en revanche des angles d’attaques relativement variés. L’étude de cette nébuleuse suisse est hors de notre sujet, mais relevons toutefois que les sensibilités exprimées vont de la « simple » critique libérale des mesures sanitaires (notamment de confinement), à des critiques plus « systémiques », en faveur de médecines alternatives, contre la « Big Pharma », voire tout à fait soupçonneuses (à plus ou moins lourdes tendances conspirationnistes), parfois alignées sur la défense des positions de puissances étrangères. Si des liens avec l’extrême-droite de l’échiquier politique helvétique peuvent être constatés sur plusieurs de ces sites, d’autres orientations politiques semblent également représentées sur certains liens répertoriés par ReAktion (voir à nouveau) .
Nous n’avons pas vocation à expertiser ici la politique interne suisse, mais il est intéressant de constater le lien qui existe entre une partie du mouvement français anti-pass (et, pour une part, plus largement hostile aux mesures sanitaires liées à l’épidémie de Covid-19) et un mouvement suisse, qui semble relativement important du moins dans l' »infosphère ».
Précisons toutefois que le site Animap.fr n’affiche guère de lien ostensible avec ReAktion si ce n’est dans les mentions légales du site : il est donc très probable qu’une partie au moins des Français qui participent à alimenter la carte hexagonale ignore ces liens dont la presse s’est relativement peu fait l’écho.
Selon toute vraisemblance, ces origines influencent le profil des établissements recensés sur animap.fr, de même que les circuits informationnels par lesquels elle a d’abord circulé. Il se pourrait d’ailleurs que cette circulation ne tienne pas qu’au seul monde immatériel (réseaux sociaux, groupes de diffusion WhatsApp ou Telegram…) à en juger notamment par l’importante concentration de sites recensés dans les départements voisins de la Suisse (Ain, Haute-Savoie, et en second cercle Savoie, Isère, Rhône – voir ci-dessous les Figures 1 et 2, capturées le 26 juillet à 19h00).
Figure 1 Figure 2
Ce sont ces spécificités, à la fois socio-politiques et géographiques, qui nous occuperont lors de nos prochains développements sur ce sujet.
2 réflexions sur “Animap : une fenêtre sur le mouvement anti-pass sanitaire (Partie 1)”
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