Logement : les promoteurs s’emparent du sujet de l’acceptabilité – quelles perspectives ?

Entré en possession de sa fonction de Président national de la Fédération des Promoteurs des Immobiliers (FPI) le 1er juillet dernier, Pascal Boulanger s’est immédiatement emparé du sujet de l’acceptabilité de l’acte de construire. Sujet montant depuis plusieurs années déjà, le phénomène d’opposition de la société civile au développement du territoire et au lot de désagréments qu’il implique a longtemps été « évité », quitte à être intériorisé par certains opérateurs comme une fatalité.

Mais une crise sanitaire plus tard et face à une crise de l’offre de logements qui avait déjà débuté avant les élections municipales de 2020, les obstacles à la reprise des chantiers se font de plus en plus pesants. Épineux, le sujet de l’acceptabilité est d’importance : au-delà des conséquences immédiates que les oppositions à tel ou tel autre projet ont sur le volume général d’activité, leur multiplication échaude également les élus qui sont, pour certains, de plus en plus réticents à délivrer des permis de construire.

Il était donc temps que la profession s’empare de cette question complexe. L’auteur de ces lignes, qui s’attache à décrypter ces enjeux depuis plusieurs années déjà, ne peut que saluer le courage et le mérite du nouveau dirigeant de la principale instance de représentation des promoteurs immobiliers. Mais quelles perspectives s’offrent à cette profession pour apaiser le feu nourri des contestations ?

Conquérir la légitimité des actions et revendications de la profession

Avant-même de parler des oppositions localisées, il faut souligner que la filière française de production de logements connaît encore un certain déficit stratégique en matière d’occupation et d’orientation du débat public. Si personne ne conteste que le logement est un bien de toute première nécessité, le grand public et les relais d’opinion n’ont pas forcément conscience de l’état global du marché français et donc du besoin légitime de construire encore.

Un signe de ce déficit est d’ailleurs la portée qu’ont certaines informations erronées ou trompeuses qui viennent parasiter la perception de cet enjeu sans qu’aucune voix ne viennent les contredire. C’est par exemple le cas à propos des logements vacants : certes, ceux-ci sont 3 millions en France d’après l’INSEE, mais on oublie toujours de préciser que cette comptabilité repose sur une définition particulièrement large et vague de la vacance. En étudiant sérieusement la question, on s’aperçoit que seule une infime minorité des logements vacants au sens de l’INSEE serait réellement mobilisable en l’état pour loger la population (le restant étant insalubre, comptabilisé vacant lors d’une courte période entre deux occupants, etc.). Ce chiffre spectaculaire n’est donc pas une réponse valable au problème massif du logement en France, or nombre d’activistes et d’opposants à des projets de construction ne cessent d’en exciper au soutien de leurs causes.

Enjeu stratégique au niveau national pour la profession, ce déficit apparent de légitimité des revendications et, plus largement, d’image et de réputation auprès de la population comme d’un certain nombre de partenaires publics ou privés a également des conséquences au niveau local. Face à la multiplication des contestations, le travail de fond qu’une instance représentative des promoteurs peut fournir peut déjà provoquer des effets bénéfiques, par exemple en cassant une image de « prédateurs » ou de « bétonneurs » trop largement répandue. Mais le défi de l’acceptabilité se relève aussi, projet par projet, en analysant finement les phénomènes d’oppositions montantes ou déclarées sur les territoires.

Diagnostiquer un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît

La tendance générale est à réduire les phénomènes d’opposition aux projets immobiliers au bien connu syndrome NIMBY (Not In My Backyard, soit « pas de ça chez moi »), qui désigne les oppositions de riverains essentiellement mus par le rejet des nuisances occasionnées par les chantiers et la préservation de leurs intérêts personnels.

Pourtant, considérer que les mouvements d’oppositions seraient tous le fait de riverains égoïstes et ennemis de l’intérêt général est un leurre. De plus en plus fréquemment, les oppositions se fondent sur des considérations environnementales ou sociales et la défense de causes collectives à l’exact opposé de réflexes conservateurs autocentrés. Il y a en réalité une assez grande variété de motifs d’opposition. Les terrains sur lesquels la profession en général et les projets particuliers doivent être défendus le sont donc également : ici, l’opposition sera idéologique ; là, elle portera sur l’expertise environnementale ; là-bas, le promoteur devra décrypter et débrouiller des manœuvres de désinformation émanant d’opposants subversifs, etc.

La complexité du phénomène s’exprime donc aussi dans la diversité des modes d’action : l’occupation sauvage et durable des fonciers, l’agit-prop, le parasitage des tentatives de concertation ou l’usage offensif de la désinformation sont des modalités courantes qui peuvent s’avérer bloquantes en amont ou en complément du traditionnel recours en justice attaquant le permis de construire.

Chaque contestation est unique même si de grandes tendances et catégories d’acteurs et de motivations peuvent être identifiées. Or, dans l’imbroglio géopolitique dans lequel il se retrouve piégé, le promoteur est souvent démuni. Si certains font le choix assumé de laisser les oppositions se former et se durcir, de se reposer sur la légalité objective des projets qui finit généralement par triompher en justice – souvent après plusieurs années de procédure, cette attitude n’est pas satisfaisante. En plus de ralentir considérablement l’activité, les tensions nées à l’occasion d’un projet s’enkystent et se propagent aux opérations voisines. Si bien que des poches de contestation se forment et amplifient le phénomène. Le noyau dur d’opposants trouve des alliés et des ressources pour mener son combat. Il se forme, apprend de ses erreurs, devient plus efficace. Il inspire d’autres mouvements similaires et partage avec eux les bonnes pratiques, parfois même par-delà les frontières du territoire national. Et rapidement, c’est toute la profession qui est concernée.

Comprendre et anticiper les oppositions : la nécessaire lecture géopolitique du territoire

L’acceptation des projets immobiliers ne peut de toute évidence passer que par l’anticipation et la gestion des crispations qu’ils pourraient susciter, sinon par une totale adéquation de ceux-ci avec leur environnement socio-politique. Si le développement du territoire est un enjeu collectif, il serait hasardeux d’opposer acquéreurs des biens et riverains des projets de construction dans une France déjà morcelée. Car à bien des égards, ces oppositions peuvent s’analyser comme le symptôme d’une fracture parmi d’autres entre acteurs d’une même société, notamment entre citoyens et entreprises, laquelle génère des rapports de forces quant à l’évolution, la gestion, l’aménagement et le développement du territoire. Les promoteurs immobiliers, qui sont nombreux à avoir récemment adopté une stratégie RSE ou une « raison d’être » tournée vers l’inclusivité, l’apaisement de la ville et le développement durable au sens large, ne peuvent pas raisonnablement négliger cet aspect.

Les opérateurs ont donc besoin d’une connaissance fine et actualisée des territoires où ils agissent et de l’agitation sociale qui les anime. Encore faut-il pouvoir documenter et analyser les phénomènes et rapports de force à l’œuvre, parfois ultra-localisés, à travers la grille de lecture qui convient – et c’est notamment ce pourquoi Diatopes existe. Car à l’inverse des considérations techniques, juridiques, financières ou des innovations qui sont au cœur de l’activité de promotion, les questions de géopolitique locale sont rarement inscrites au tableau de bord des opérateurs.

Pourtant, le travail de veille et de « due diligence territoriale » devient indispensable. Non seulement pour « déminer » des terrains « hostiles », mais surtout parce qu’il permet d’identifier les causes profondes et réelles d’oppositions dont, à défaut, seule la face émergée apparaît au promoteur. Or une connaissance claire et exhaustive des enjeux territoriaux précis permet de gérer au mieux les conflits naissants ou déclarés – et dans un certain nombre de cas de désamorcer les tensions. Elle permet en fait de cerner un enjeu essentiel en analyse géopolitique : celui de la représentation que chaque partie prenante se fait d’une même réalité.

Car on peut certes estimer que les revendications des riverains sont illégitimes et n’ont pas à être considérées parce que seule la conformité du projet aux documents d’urbanisme importe. Mais quoiqu’on en pense, les oppositions qui naissent sont efficaces et grippent réellement la production des biens immobiliers. Ainsi paraît-il opportun de chercher à comprendre les lignes et rapports de force qui traversent les territoires pour rechercher une construction équilibrée de l’acceptabilité, laquelle se décline au niveau national comme à l’échelle d’une ville, d’un quartier ou même d’une rue.

Il ne s’agit pas de laisser des franges activistes s’arroger le droit de décider des directions à donner à l’aménagement et au développement du territoire au mépris de documents d’urbanisme démocratiquement adoptés et mis en œuvre. Il s’agit en revanche d’accepter et de régler intelligemment l’inéluctable rapport de force qu’elles engagent dès lors qu’un projet disconvient. Cette évolution d’un jeu démocratique qui se joue de moins en moins dans le cadre médié des institutions et de plus en plus dans la confrontation directe des parties prenantes est un état de fait imposé par la société de l’information dans laquelle nous baignons et où la légalité ne suffit plus : les acteurs doivent également faire valoir la légitimité de leurs actes.

Comme de nombreuses autres industries qui ont été confrontées à de virulentes attaques informationnelles au cours des deux dernières décennies (dénigrement, diffusion de fausses informations et autre actions d’influence offensives…), l’immobilier doit amorcer sa mue vers cette nouvelle dimension de la gestion des risques.

Quelles solutions ?

La question se pose au pluriel car il n’existe pas de solution unique et miraculeuse à un problème protéiforme. Restreindre la capacité des citoyens à introduire des recours en justice ? Les autres formes de contestation par les actes telles que les occupations sauvages et autres formes de désobéissance civile, non moins bloquantes, se multiplieront et l’intensité des conflits risquerait d’augmenter encore plus rapidement. Institutionnaliser une concertation systématique ? Ce type de procédure ne réussit – malheureusement – pas toujours à cause de l’insatisfaction de certains participants, d’une faible représentativité ou encore du parasitage causé par des minorités agissantes. En réalité, la gestion d’un conflit appelle une véritable intelligence de situation : selon la nature, les causes, les modalités de l’opposition, les porteurs des projets immobiliers doivent adapter leurs réponses.

Mais le syndicat qu’est la Fédération des Promoteurs Immobiliers, présent dans les régions, pourrait également, outre son travail général de défense de la profession dans le débat public et auprès des autorités, jouer un rôle pour favoriser l’accès de la profession aux analyses géopolitiques utiles, pourquoi pas entreprendre des démarches de pacification préventives auprès des organisations identifiées comme réticentes aux projets immobiliers dans certaines zones, ou encore interpeller les autorités et l’opinion lorsque certaines manipulations ou pratiques agressives telles que la désinformation sont employées pour fausser le débat sur un projet ou un enjeu stratégique pour la filière.

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